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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

UNE PETITE MAIN EN PASSANT

Dernière mise à jour : 11 juin



Lorsque nous pénétrons dans le monde médical, naïvement nous imaginons que ce dernier est peuplé d’individus justes, apaisés, stables et qui ont conscience des notions de bien et de mal. Malheureusement, ce monde utopique n’existe pas. Le corps médical est peuplé de la même palette de personnes que la société civile. Nous avons notre lot d’incompétents, de charlatans, d’illuminés, de menteurs, de pervers narcissiques, de violents, de harceleurs et de violeurs. Alors je vous rassure, la majorité des personnes travaillant dans ce système n’est pas à enfermer et on y croise énormément de professionnels faisant preuve d’une grande probité. Cependant, lorsque que l’une de nos consœurs ou l’un de nos confrères dépasse la ligne, cela marque au fer rouge l’ensemble de la profession et laisse un grand désordre dans ce monde que l’on espère plein de vertus. La désillusion est alors brutale.

Il y a pourtant un reproche à faire à la profession, et pas des moindres, c’est l’omerta corporatiste qui couvre les dérives. « Le milieu » n’est pas très bavard et n’aime pas les vagues. Les loups ne se mangent pas entre eux dit l’adage…

Sans verser dans le complotisme, les médecins, les infirmier(e)s et les aide-soignant(e)s gardent souvent pour eux des faits répréhensibles dont ils ont pu être témoins. Parfois par peur, d’autre fois par soucis d’éviter l’isolement, pour rester à distance des ennuis, peu importe les raisons, s’il y a une certitude, c’est que les administrations couvrent tous les départs de feu sous un tas de couvertures très douillettes. Voilà qui n’incite pas à lancer l’alerte. La caste dirigeante prend en compte toutes les demandes mais en veillant scrupuleusement à ce qu’elles se prennent dans la machine procédurale de façon à décourager les plus vertueux.

L’une des principales transgressions qui existe dans ce milieu est le harcèlement sexuel. Il passe tellement au second plan derrière le nombre déjà colossal de dysfonctionnements qu’il est presque institutionnalisé. Mais pourquoi le milieu médical y est si habitué ?

Quelles sont les origines, les vecteurs et les facteurs qui aboutissent à cette ambiance perverse qui fait le lit des agressions ?


Commençons par le commencement.

Le harcèlement sexuel est une tradition de la fac de médecine. Dès le week-end d’intégration, puis au cours des soirées médecine ou des cérémonies de faluchés*, le sexe est alors agité froidement comme une condition d’entrée dans le cercle fermé des déshumanisés. Le folklore oblige de montrer ses seins ou son sexe pour intégrer ces associations d’âmes perdues. Parce que cette profession côtoie la souffrance, la misère et la mort, les étudiants sont poussés par les pulsions de Thanatos dans les bras d’Eros.

Malheureusement, cette ambiance sans limites exprimée par des mots crus poussent à passer la barrière de la pudeur, du respect, de l’intégrité physique puis de la loi.

Ces rassemblements sont l’occasion de se retrouver dans des situations humiliantes.

Il y a la boisson qui coule à flot avec comme seule vocation l’obtention d’une ivresse poussée au nadir et une détresse à en vomir. On y trouve une banalisation sexuelle par laquelle les corps s’échangent d’une chambre à l’autre, et encore, quand ce n’est pas dans des toilettes ou une sur la banquette d’un bar au vu et au su de tous.

Et puis il y a la frontière, cette frontière entre la cabriole consentie et l’ébat forcé. La soumission se trouve souvent du côté de l’homme qui souhaite se soulager, mais parfois chez la femme qui sait très bien monter en gamme.

Bien que je ne sois pas familier de cette ambiance qui m’a toujours mis très mal à l’aise, en dix ans d’étude j’ai pu être le témoin de quelques turpitudes.

Je me souviens d’une soirée à l’internat du CHU dans lequel j’ai étudié. J’étais venu fêter la fin de mon stage de chirurgie avec mes collègues du moment. Là, tapis dans l’ombre de locaux vétustes transformés en boite de nuit éphémère, j’ai croisé des médecins complètement détruits par l’alcool, ces mêmes docteurs qui se prenaient pourtant très au sérieux quelques heures auparavant se trouvaient maintenant à cacher leur alliance accrochée à la main gauche pour caresser leurs étudiantes avec la main droite…

Je me rappelle très bien avoir vu un ballet de personne se dirigeant dans les chambres pour y rester cinq, dix, quinze, ou vingt minutes. C’est au milieu de cette danse macabre qui croit célébrer la vie que j’ai vu pour la première fois de mon existence une femme que je ne connaissais pas, me tirer le bras pour m’emmener dans une pièce inconnue dans l’espoir d’initier une activité incongrue. J’ai poliment refusé, ce qui ne l’a pas dérangé puisqu’elle est allée s’amarrer à un autre bras (ou tout autre membre).

Le consentement fut préservé mais la prochaine anecdote est moins rigolote.


Etudiant en quatrième années, je suis en stage aux urgences du même CHRU. L’une de mes internes, Estelle, faisait partie de cet univers sans limites dans lequel on se sent tout puissant. Elle baignait dans le milieu des corporations friandes de soirées organisées dans des bars privatisés où tout fini détérioré. Elle participait activement aux vacances élitistes et dévergondées proposées par ces mêmes clubs dans des chalets envahit par cette aristocratie autoproclamée où l’on creusait des piscines à même le plancher des chambres en sacrifiant de fait la caution comprise dans la cotisation. Enivrée par l’autosuffisance, elle dansait sur le toit du monde, plus de limites, tout abonde, plus de respect lorsqu’on écrase tout le monde.

Maintenant que vous avez fait connaissance avec cette charmante Estelle et avec son sentiment de puissance, je peux vous dire qu’elle me regardait avec un regard très insistant. Tous les jours sur notre lieu de travail, ses yeux me mitraillent. Elle m’avait proposé quelques fois de venir boire un verre avec ses co-internes, ce que j’avais refusé. Premièrement parce que j’étais en couple et ensuite parce qu’elle m’irritait fortement. Un jour, alors qu’elle me collait avec une lourdeur étouffante, je l’ai quitté pour aller m’occuper d’un plateau de prise de sang qu’elle m’avait demandé de préparer. Alors que personne ne se trouvait dans les parages, elle est venue inspecter mon activité et en a profité pour me mettre une petite main en passant avant de lâcher : « c’est pas mal ça ». Je me suis senti extrêmement mal à l’aise, gêné, énervé, en colère, dégouté, bref, harcelé. Voilà comment une petite enfant gâtée à qui tout réussi se retrouve à malaxer le petit cul d’un étudiant en quatrième année.


Cette petite action, ce n’est rien et c’est tout. Ce n’est rien parce qu’elle ne m’a pas pénétré. Lorsqu’on y pense, il serait déplacé de se plaindre quand certain(e) sont réellement violé(e). Ainsi, « une petite main » ne fait de mal à personne. C’est justement sur cette brèche que marchent les harceleurs qui officient en tout impunité. Leur force et de laisser croire aux victimes qu’il faut attendre le pire pour avoir le droit à la plainte. C’est tout car le consentement n’était pas respecté, c’est tout parce qu’elle a pris sans demander et sans respecter.

Imaginez ces professeurs, ces chirurgiens, ces médecins, ces administrateurs qui exercent leur pouvoir sur leurs subordonnés sans qu’aucune issue ne s’ouvrent pour ces derniers.

De mon côté, je savais que le stage ne durerait que six semaines. Je savais également que je pouvais me défendre physiquement mais imaginez une personne que vous croisez chaque jour, réfléchissez à la solitude d’une femme frêle face à un chirurgien d’un mètre quatre-vingt dans le couloir désert d’un bloc opératoire à trois heures du matin.

Ces gestes, du moindre au pire, sont une constante à l’hôpital. Communément admis, élevés au rang d’art en chirurgie, il rythme la vie des services. Il suffit de glisser une oreille derrière les portes pour que les blagues misogynes et sexistes gangrènent vos esprits.

La complexité du système réside dans la résilience des victimes et l’absence de soutien de la hiérarchie qui refuse de s’attaquer à des personnes souvent indispensables à l’hôpital (surtout en zone de désert médical). Que dire de certains praticiens hospitaliers devenus tout puissant avec la réforme du financement des établissements qui favorise des spécialités plutôt que d’autres. Ces médecins souvent indéboulonnables sans un dossier solide sont presque invincibles. Á choisir, on mute la pauvre infirmière dans un service austère pour que le bourreau médecin ou chirurgien puisse continuer à jouer avec ses mains.

Nous vivons une époque étrange où l’autorité du médecin s’amenuise dans sa pratique médicale quand elle reste toute puissante dans son maintien en poste.

Il n’existe à ce jour aucune mesure pour sensibiliser aux harcèlements à l’hôpital.


Il semblerait que les mouvements #MeToo et associés aient énormément de mal à pénétrer les portes blindées des hôpitaux public.


Petite dédicace à ce professeur de chirurgie viscérale tout puissant qui pressa une étudiante de cinquième année pendant toute une nuit de garde et qui finit par ses assauts répétés par la faire craquer et à l’attirer dans son lit…





Iconographie: Suzanne et les vieillards de Giuseppe Bartolomeo Chiari.







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