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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

UN PEU DE LEGERETE AUX URGENCES

Dernière mise à jour : 20 mai 2024



Garde aux urgences, je suis externe en quatrième année. Il est tard, un patient d’environ quatre-vingts ans est placé dans la salle d’examen numéro cinq. Comme de coutume, je vais voir le patient avant mon interne pour débrouiller le dossier. Je l’interroge, l’examine, lance le bilan. J’en réfère à Paul, mon interne pour la nuit. Le patient est adressé pour une confusion. Quand vient le moment de l’examen par l’interne, celui-ci décide de pratiquer un toucher rectal. Les étudiants sont toujours réticents à réaliser cet examen qualifié de gênant, pourtant il est essentiel dans nombre de cas. Il permet de faire certain diagnostic dès l’examen clinique : saignement digestif, fécalome, prostatite, cancer de la prostate, cancer du rectum et hémorroïdes internes entre autres. Bien que guère attrayante, cette exploration doit être réalisée aussi souvent que nécessaire. Le patient vient donc pour une confusion : il ne sait plus où il se trouve ni quel jour nous sommes. Ses propos sont incohérents. Les diagnostics peuvent être nombreux : un AVC, une crise d’épilepsie, une hypoglycémie, un surdosage ou une interaction de médicaments, une fièvre, mais aussi, et c’est particulièrement fréquent chez la personne âgée, un fécalome. Le fécalome résulte d’un dessèchement des selles dans l’ampoule rectale suite à une constipation qui entraine un bouchon aggravant encore la constipation. Chez le patient âgé cela peut s’exprimer par un syndrome confusionnel. Le diagnostic est simple, un obstacle de la consistance d’un caillou perçu au bout du doigt, le traitement l’est aussi : un lavement. Nous voici partis avec nos gants et notre précieux tube de vaseline pour « explorer » le patient. L’interne regarde le dossier et débute l’examen. Bien que notre malade soit perdu, Paul lui explique ce qu’il va devoir réaliser : « -Monsieur A., je vais devoir vous examiner plus bas, il faudrait que je vous mette un doigt dans les fesses » Explication simple, mais le patient n’est pas apte à entendre plus détaillé. Ce à quoi le patient répond avec un regard très expressif qu’on aurait pu décrire de vicieux : « OOh oui… » Petit regard de l’interne dans ma direction, petit sourire de ma part. Il faut préciser le contexte, il est trois heures du matin, nous travaillons depuis huit heures du matin la veille, notre dernier repas remonte à plus de quatorze heures… nous sommes un peu fatigués et donc désinhibés. L’interne, le sourire au coin des lèvres met ses gants, applique une petite noisette de lubrifiant au bout d’un de ses doigts. Parallèlement, je déshabille le patient, le fait écarter les jambes, et Paul se positionne. Paul commence la pénétration. Là, je vois les yeux du patient s’ouvrir exponentiellement à la disparition du doigt et le patient se met brutalement à crier avec un son aigu, il se relève en poussant sur ses mains et en se dressant comme un « I » lâche de manière inattendue et dans un râle de jouissance : « Ah, oui, c’est bon, c’est BON… » Là j’ai malheureusement, et non professionnellement explosé de rire. Mon interne a suivi. Après avoir replacé le patient dans son lit, nous avons quitté la pièce dans l’indifférence de celui-ci qui gardait un sourire satisfait. Nous avons dû rire pendant de très longues minutes nous obligeant à sortir des couloirs des urgences. Le patient n’avait pas de fécalome, il a été hospitalisé pour poursuivre les examens. Nous avons terminé notre nuit de garde jusqu’au petit matin un peu allégés per cette pause étonnante.

Ce qui rend notre métier si atypique, c’est qu’il touche à l’humain, et si l’on peut côtoyer le pire ou le meilleur, on peut parfois toucher d’autres facettes étonnantes qui même si elles nous amusent, doivent être respectées. Les êtres se dévoilent à nous sans masque, sans filtre, nous donnant accès à un savoir interdit dont nous sommes les gardiens.




Iconographie: La Création d'Adam de Michel-Ange.







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