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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

TORPEUR

Dernière mise à jour : 28 mai



Entre midi et deux, je me rends dans la librairie située à huit-cents mètres de l’hôpital pour récupérer une commande.

Je marche, la tête dans le brouillard, mes pensées encore tournées vers le service. J’avance en me remémorant la visite du matin. Les rues défilent, je ne les vois pas, je me déplace dans le couloir de mes idées. Je suis totalement absorbé par mes patients.

Je ne sais trop comment, j’arrive enfin devant la librairie. Je pousse la porte et entre l’esprit toujours aussi absent.

J’entends un « Bonjour » auquel je réponds machinalement.

Ensuite, mes oreilles perçoivent : « -Je peux vous demander de vous mettre un peu de gel ! »

L’inconscient pilote. Par déformation professionnelle, je me souviens à n’importe quel instant de la journée de la dernière fois où j’ai mis du gel et de ce que j’ai touché entre temps. Il se trouve que mes mains ont été désinfectées en sortant de l’hôpital avant d’enfiler mes gants. Je reste en mode pilotage automatique. Rien ne cloche.

Là, toujours ailleurs, j’ai comme réflexe de montrer mes gants.

Pourquoi ai-je fait ça ? Aucune idée.

La libraire me lance enfin : « -Vos gants vous protègent mais ne protègent pas les autres. Je dois vous demander de mettre du gel ».

C’est là que je suis sorti de ma torpeur, comme un petit enfant pris la main dans le bocal de bonbons. Cette dame me faisait la leçon, à moi, le médecin de l’unité covid… Et elle avait raison.

Elle avait à faire depuis le début à mon avatar décérébré et, n’étant pas voyante, elle ne savait pas que j’étais médecin et que je m’étais lavé les mains dix minutes avant.

Piqué au vif, j’ai été un peu vexé, puis je me suis excusé.

En sortant de la boutique, j’ai souri et me suis dit que c’était une bonne chose que des citoyennes et citoyens veillent au grain. J’étais heureux, heureux de sa réaction qui me rassurait et qui me conforte dans le fait que je ne viens pas au travail pour rien.

Chacun a son rôle à jouer dans la société, c’est ce qui crée d’un peuple une nation. Alors merci à vous la libraire, la gardienne des règles sanitaires de votre sanctuaire dans lequel tous les jours vous veillez à m’épargner. Merci de vous soucier de moi quand je suis occupé à penser aux autres.

Merci.




Iconographie: Illustration de Dean Stuart.







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