Lundi vingt-neuf mars de deux-mille-vingt-et-un.
Le week-end fut agréable. En retraite dans une douce vallée traversée par une rivière naissante, j’ai batifolé au gré des bois et des prairies, des montagnes, des torrents et des ruines des conquêtes d’antan.
Les petites pervenches recouvraient déjà de leur tapis vert constellé d’étoiles violettes les bois humides encore groggy de l’hiver récent.
Les coucous sortaient leurs têtes jaunes pour accueillir, aux bords des chemins, les premiers promeneurs de l’année.
Dès le matin, les mésanges emplissaient les jardins encore blanchis de la nuit. Les pêcheurs flânaient à l’affût d’une truite fario affamée. Les papillons commençaient à consteller cette atmosphère bucolique par leurs balais aériens.
Lorsque je me lève en ce lundi matin, je suis encore enveloppé par l’ambiance printanière de cette pause salutaire.
C’est détendu que je pénètre alors l’enceinte du centre hospitalier…
Je travaille dans le « service propre » de cet hôpital de l’Est de la France. Quand je dis « service propre », cela veut dire qu’aucun cas de covid n'est recensé. Dès qu’un patient se positive, il est transféré dans un service adapté, permettant ainsi de sanctuariser les lieux pour les autres patients.
Je me pose en douceur dans ce service de trente lits quand ma collègue, qui a déjà oublié son week-end, me lance l’information en plein visage :
Vendredi, zéro covid, ce matin, treize. Evaporés les papillons, disparus les coucous, fanées les petites pervenches, retour dans le purgatoire du soin.
Mais ce n’est pas tellement ces chiffres désespérants mais attendus qui me turlupinent, c’est plutôt les décisions attendues et espérées qui me minent.
Nous sommes le vingt-neuf mars deux-mille-vingt-et-un, quatorze mois se sont écoulés depuis le début de l’épidémie et toujours aucune recommandation, aucun protocole de l’administration ou de l’ARS.
Evidemment, je ne parle pas de l’État qui a fait ses choix criminels depuis longtemps en mettant tous les efforts de l’appareil gouvernemental dans la communication pour nous convaincre (et se convaincre) que vendre des meubles Ikea ou des Happy-Meal est plus important que les bientôt cent-mille morts.
Cent-mille personnes qui n’auraient pas dû mourir sont décédées. Il restait pour certaines quelques mois à vivre, pour d’autres des années voire des décennies.
Cent-mille morts, c’est Hiroshima.
En un an, le covid a fait disparaitre l’équivalent d’une ville comme Argenteuil ou comme Nancy.
C’est aussi l’équivalent d’Avignon et Dax ou de Pontarlier et Chalon-en-Champagne et Auxerre. J’arrête là les comparaisons morbides.
Mais quand j’entends les bienpensants nous dire que les naissances couvrent les décès, où qu’il faut bien mourir de quelque chose, que le sida a fait bien plus de morts, ou que la grippe espagnole était plus meurtrière, j’ai envie de dire soit ! laissons faire la nature. Mais qu'on nous dise quelle est la barre pour commencer à se réveiller ? cinq-cent milles ? un million ?
Le cynisme ne coute pas cher quand on est dans son canapé.
Mais revenons à ce qui nous intéresse, le microcosme du centre hospitalier. Que fait une direction d’hôpital lorsqu'elle entend gronder dans les étages ?
Réponse : une « réunion de crise ». On ne sait plus distinguer une « réunion de crise » d’une « réunion normale » puisque les « réunions de crises » reviennent environ deux fois par semaine. La durée moyenne est de deux heures, durée au cours de laquelle on brasse de l’air tiède par différentes techniques très élaborées avant de se décider à « pas grand-chose ».
C’est au cours d’une de ces réunions que le directeur nous a gracieusement fait part de son intense réflexion.
Inquiet de l’image que donnerait un hôpital avec des lits vides en pleine épidémie, il a laissé faire et voulait voir perdurer le fait que les patients suspects puissent être hospitalisés en chambres doubles. C’est-à-dire qu’un patient suspect qui n’a en fait pas le covid se retrouverait à côté d’un autre suspect qui lui l’a contracté… Deux covids pour le prix d’un. C’est un calcul intéressant.
En résumé, il vaut mieux des chambres pleines de patients infectés que des chambres parfois mi-remplies de patients en sécurité.
Ce même directeur, dans sa grande sagesse, est également contre le principe de tester le personnel. On vous ennuie à longueur de journée avec les psaumes « tester, isoler, tracer », mais l’hôpital, territoire perdu de la république, n'est semble-t-il pas soumis aux mêmes règles.
Il faut bien comprendre qu'un soignant atteint et qui vient travailler, c’est une bombe à retardement, il infecte des soignants et des patients qui comme une traînée de poudre font exploser le système.
C'est alors que le directeur a eu une épiphanie, « lorsqu’on teste, on trouve ». La rhétorique ne souffre aucune critique. On est heureux d’avoir à la tête de nos établissements des êtres si clairvoyants.
Il a ouvertement exprimé le risque que beaucoup de soignants puissent être dépistés positif et donc placés en arrêt de travail…
Personnellement, j’aimerais avoir la certitude que si l’un de mes proches est hospitalisé, son médecin, son aide-soignant(e) ou son infirmier(e) soit négatif… et bien non ! Imaginez que la presse découvre le pot aux roses: des soignants qui se retirent du front en pleine épidémie.
Voilà que sans aucune pudeur ni aucune gêne, on nous avoue ouvertement que la communication dirige la politique sanitaire… Encore un disciple de Jupiter.
Toujours dans cette « réunion de crise », il y a ce chirurgien qui n’a toujours pas saisi les principes du dépistage. Il se targue de n’avoir aucun cas de covid dans ses murs tout en fustigeant la cheffe du service qui m’accueille parce qu’elle a laissé entrer le loup dans la bergerie. C’est vrai qu’aucun cas de covid n’est à déplorer dans le service de chirurgie du docteur H. Il est également vrai qu’aucun test n’a été réalisé dans ledit service depuis des semaines. Pas de test, pas de covid.
Pourquoi n’avions nous pas pensé plus tôt à cette solution ? Il suffit de ne plus tester pour faire disparaitre l’épidémie. J’ai nommé le docteur H. prix Nobel de médecine ET prix Nobel de la paix. Magnifique.
Sauf qu’en quelques clics, nous nous apercevons qu’au moins cinq patients ont en ce moment même une fièvre sans diagnostic… on repassera pour les prix Nobel.
Je passe très rapidement sur les experts, docteurs es covid autoproclamés, qui trouvent là une occasion de briller en vendant des allumettes humides en proposant fièrement des protocoles vaseux.
C’est la troisième fois que l’Hôpital est touché par l’ouragan de la pandémie, et c’est la troisième fois que l’administration louvoie et nous oblige à nous battre sur deux fronts. Celui face à l’ennemi covid et celui face à nos généraux qui ont depuis longtemps choisi le camp de la collaboration et qui nous tirent dans le dos.
Drôle de guerre. Heureusement que des résistants comme le docteur S., ma cheffe de service, se dressent devant l’administration et les pseudo-experts pour faire plier les arguments de pacotille. Heureusement que certains se dressent dans la tempête avec pour seule arme que leur logique. La Logique.
J’étais assez fier en ce lundi de servir à côté de cette femme de caractère pour défendre nos patients de cette misère. Elle a réussi à imposer, au moins pour son service, les mesures qu’il se doit pour stopper la contagion qui n’aurait d’ailleurs jamais dû survenir ici. Les treize patients atteints doivent leur contagion à la décision inadmissible d’une personne, mais l’explication sera l’objet de la prochaine publication.
Voici une journée qui se termine, une journée rendue plus difficile par l'acharnement perfide d'une direction stupide.
En ce début de soirée, je me remémore la simplicité de la vie dans cette vallée lovée entre ses murs de calcaire, à contempler le ciel remplit de papillons multicolores qui se soucient assez peu de l’épidémie du jour.
Iconographie: Art de rue, Un Cluedo à Millau, artiste inconnu
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