J’ai dans ma vie la chance de côtoyer une personne extraordinaire. Une soignante impliquée qui offre une part d’elle-même à chaque patient qu’elle traite.
À chaque chambre qu’elle traverse elle laisse un peu de sa personne qu’elle échange contre une poignée de tristesse des soignés rangée dans le sac de son intimité. C’est ce transfert qui fait que chaque soir elle est un peu changée. Qu’à cela ne tienne, c’est ce qui fait de nous des entités humaines, l’expérience et l’empathie nourrissent la conscience de nos vies. L’équilibre pourrait être parfait si de la bonté en retour on injectait. Malheureusement le système médical a la faculté de ne jamais laisser transpirer la moindre goutte de tendresse pour ses âmes en détresse. Ce maelström prend sans jamais donner en retour, il absorbe les vies et les âmes pour cracher des carcasses froides aux vautours.
Ainsi, le tonneau se vide et la tristesse progresse.
Alors viennent les soirées de colère parce que le système met en danger les personnes que l’on doit protéger. Il y a les soirs de fatigue parce qu’on nous demande de nous épuiser pour des tâches inutiles. Parfois des soirées de lassitudes de voir nos efforts vains à faire tourner cette machine dans le vide.
Et puis il y a les soirs de larmes et de sanglots parce que les nerfs s’arment à fleur de peau, parce que plus rien n’a de sens dans cette existence, parce que des gens meurent pour rien par le manque de moyens. On pleure parce que des administratifs déconnectés viennent nous expliquer gentiment que l’on peut faire plus et mieux avec moins et rien.
Notre force est d’être deux, alors on se soutient et on s’élève et on alterne la relève pour que le plus fort chasse le désespoir.
Mais il reste ces soirées où ni elle ni moi ne tenons plus, laissant ainsi la machine folle pénétrer dans notre intimité pour tout retourner.
J’en veux à ce système. Je lui en veux d’éteindre la lumière chez cet être au tempérament de feu. Je lui en veux de dégouter ceux qui y ont trop gouté, de créer des désabusés et des abusés, des écœurés au cœur blessé, des soignants mal soignés... Triste réalité d'un système déglingué. Surtout, Je lui en veux d’user et de tuer ses usagers.
Mais malgré toute cette folie, il reste une étincelle dans la nuit, un petit souffle de vie qui fait que tous les jours je l’entends s’extraire du lit, vers cinq heures et demi, pour aller avaler un café avant de rapidement les cheveux s’attacher pour ensuite voler vous soigner. Voilà le réel hommage à la vie, voilà le vrai courage qu’on oublie.
J’ai dans ma vie la chance de côtoyer une personne extraordinaire, elle est ma super infirmière et j’en suis fier.
Iconographie: Photographie de mon étincelle par l'auteur.
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