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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

MADAME B.

Dernière mise à jour : 14 mai



L’histoire commence alors que je suis jeune médecin en médecine interne. J’ai été amené à prendre en charge deux dames : Madame B. et Madame D.. Il se trouve que ces deux patientes sont arrivées en même temps dans mon service, les deux sont passées par les urgences, les deux ont terminé dans la chambre 205, Madame B. à la porte, Madame D. à la fenêtre.

La première présentait une anémie hémolytique auto-immune, la seconde un purpura thrombopénique immunologique.

Ces noms barbares peuvent être très simplement expliqués. Les systèmes immunitaires des deux patientes, représentés par leurs globules blancs respectifs, ont décidé de trop bien fonctionner. En effet, plutôt que de s’attaquer aux bactéries, virus, parasites ou autres tumeurs, les fameux globules ont utilisé les anticorps, leurs armes de guerres, pour attaquer respectivement les globules rouges de Madame B. et les plaquettes de Madame D.

Les conséquences sont simples : anémie pour l’une, risque d’hémorragies pour l’autre.

Les ressemblances vont un peu plus loin car ces charmantes dames de soixante-dix ans environ ont à peu de chose près, tout du moins au début, reçu les mêmes traitements, aussi bien que lorsque je venais expliquer la prise en charge à l’une, je me répétais presque pour mot avec l’autre.

C’est ainsi qu’a commencé à naitre une relation très cordiale entre les deux dames. Plus les jours passaient, plus il m'était difficile de sortir de la chambre. Outre les questions de l’une et de l’autre -questions sûrement écrites à deux- les conversations devenaient vite non médicales, parfois les deux voisines discutaient entre elles en oubliant quasiment ma présence et celle de mon fidèle aide de camps, Brahima, mon interne.

J’avoue que je prenais un grand plaisir à les voir discuter de leurs maux mais surtout d’autres histoires avec cette complicité et cette décontraction qui les caractérisaient si bien. Il ne se serait fallu d’un rien pour que j’installe une table et serve le thé.

Mais il fu venu le temps où l’une d’elle, remise sur pieds quelques jours avant l’autre, regagna son domicile. J’ai connu ce petit paradoxe du médecin qui voit partir un ou une patiente de son service: La joie de les voir guéris mêlée à une pointe de tristesse de les quitter.

Mais je n’étais pas en reste, mes passages n’étaient pas plus courts avec madame B. seule dans sa chambre qui parlait beaucoup et que j’écoutais encore plus.

Puis vint le jour du départ de madame B. pour retrouver son foyer.

Quelques semaines s’écoulent...

Aujourd’hui je suis de consultations. Il est treize heures trente, j’arrive à l’heure, je traverse le couloir, je salue les secrétaires et j’entends de loin un bruit anormalement présent dans cette salle d’attente habituellement si calme. C’est en arrivant devant mon bureau que je découvre assises l’une à côté de l’autre mes deux patientes en pleine discussion et qui, me voyant, s’interrompent pour lancer en cœur un joyeux « Bonjour docteur ». En effet, elles avaient hérité de mes deux premiers créneaux de consultation.

Je les reçois et elles m’expliquent chacune à leur tour qu’ayant sympathisé à l’hôpital elle se sont revues dans la vie extrahospitalière. Je me souviens de l’une me demandant hasardeusement en fin de consultation, en baissant la voix comme si quelqu’un nous écoutait, si je pouvais lui transmettre la date de naissance de son ex collègue de chambrée pour lui souhaiter son anniversaire qu’elle savait proche. J’obtempérais avec un plaisir complice.

Plus tard, si leurs journées de consultations n’ont plus été les mêmes, chacune me demandait des nouvelles de l’autre, nouvelles que je donnais évidemment dans le respect du secret médical.

J’ai suivi ces patientes jusqu’à mon départ du centre et pendant tout ce temps leur amitié scellée par l’assaut des anticorps est restée infaillible.

Je ne crois ni au destin, ni au karma, mais parfois le hasard fait tout de même bien les choses…

Mes pensées vont vers Madame B. qui ne manquait jamais, à chacune de ses visites, de m’offrir des chocolats suisses, Madame B. qui nous a malheureusement quitté il y a peu.




Iconographie: Sculpture de Jean-Louis Toutain







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