Cet après-midi, je me promène dans les rues d’une ville qui accueille son salon annuel du livre.
Plus tôt dans la journée, nous avions rendez-vous, Rémi, J-B, ma femme, sa fille et moi dans un restaurant du centre. Nous arrivons en avance sur cette magnifique place qui, outre sa charge historique, offre un écrin magnifique aux flâneurs, aux rêveurs et aux amis souhaitant se retrouver. Nous nous présentons devant l’établissement et dans un geste devenu réflexe, nous dégainons nos pass-sanitaires afin d’offrir à chaque concitoyen ici présent un minimum de sécurité et réciproquement de se prémunir du risque d’être atteint par le virus devenu endémique.
Le déjeuner est placé sous le signe de la légèreté. Les rires accompagnent le magnifique Pouilly-Fuissé qui nous est servi par le sommelier Jurassien.
Le repas terminé, nous traversons la ville où je m’adonne à l’une de mes passions : la photographie. La ville est bondée, il fait beau et chaud, la cité franc-comtoise se prête à la pose. Les gens sont détendus et heureux, la France n’accuse que 7000 nouveaux cas de covid-19 par jour ce qui est rarement arrivé depuis 21 mois, alors le monde profite de ce ralentissement pour se souvenir d’un ancien temps pas si lointain où l’insouciance faisait loi. C’est dans cette ambiance que se fait notre pèlerinage hédoniste. Arrivées sur la place principale de la ville, nous pénétrons dans l’enceinte éphémère du salon littéraire.
Á l’entrée, même protocole, nos précieux flashcodes nous ouvrent les portes de la citadelle du papier.
Après une heure à slalomer entre les différents stands de dédicaces, nous retrouvons les rues pavées chauffées par un soleil de septembre encore brulant. Nous empruntons le cardo maximus et après 400 mètres, nous tombons sur un cortège.
Nous sommes samedi, et voilà qu’apparait le défilé des « anti-pass ».
J’ai pourtant été le témoin de bien des combats depuis ma jeunesse : Contre le CPE, les réformes des retraites, le mariage pour tous, les gilets jaunes, etc…
J’en ai soutenu certains, j’ai été opposé à d’autres, mais même dans l’opposition, je reconnaissais une certaine légitimité à ces mouvements. Aujourd’hui j’ai ris et à en croire par les visages des autres badauds, beaucoup comme moi avaient le regard moqueur, parfois indifférent, souvent sidéré devant cette pathétique mascarade.
La majorité des personnes constituant cette fanfare accusaient une soixantaine d’années. Des boomeurs ne sachant plus vraiment quel combat mener c’étaient donnés rendez-vous pour exister. Quelle tristesse de n’avoir comme seule lutte que celle de lancer des attaques contre des moulins à vent. Parfois, adapter le réel à ses idées permet de se donner un peu de consistance. Mais ces épouvantails qui luttent contre la « manipulation » de l’état se voient manipulés par d’autres. En effet, de manière bien ordonnée et dissimulée dans les quelques centaines de « résistants grotesques » on trouvait les hommes de main de quelques syndicats ou groupes politiques. Cette lutte qui brasse de l’air chaud est bien évidemment politisée.
Mais revenons au fond de l’histoire, quelle est donc cette pulsion qui poussent à se battre contre la sécurité de son prochain ?
Que l’on ne souhaite pas se faire vacciner est une chose, bien que je sois ouvertement pro-vaccin, je suis ouvert au débat, mais que l’on ne souhaite pas souscrire à la protection collective en se faisant dépister, c’est cracher au visage du reste de la population. Car, disons-le, les pass-sanitaires n’exigent pas forcément une vaccination mais au minimum un dépistage récent. Ainsi, ce combat est bien celui des irrespectueux, des vandales et des sous Hommes.
Les panneaux tenus par ces Don-Quichottes en carton sont tous plus ridicules les uns que les autres.
Se troupeau informe et politisé porte tout ce que la république fait de plus nauséabond : un obscurantisme dans lequel tombent des anarchistes et révolutionnaires de pacotille trop paresseux pour s’impliquer dans de vrais combats. Une promenade au soleil un samedi n’a jamais sculpté des héros. J’ai hâte que la pluie éprouve la solidité de leurs convictions.
Ils crient « perte de liberté », je réponds « respect des droits d’autrui », ils cirent « dictature », je réponds « société », ils crient « oppression », je leur dis « ignorance », ils pensent « soumission », je lance « altruisme ».
Voici donc ses flétris de la société française arrivés dans leur berline, cigarette au bec, tatouage sur le bras, téléphone dans la poche, ils ont payé leur parking avec une carte-bleue après avoir acheté de l’eau en bouteille dans une station-service. Ils ont été contaminés, empoisonnés et le tout en étant tracés depuis leur domicile jusqu’à ce cortège d’imbécile. Ils sont venus en attachant leur ceinture de sécurité, ils ont roulé à droite, respecté le stop, ils n’ont pas fumé dans le restaurant ce midi, autant de pratiques « contraignantes » pour leur liberté mais qui en fait protège les autres. Et voilà qu’ils déboulent dans les rues pour se battre et s’investir d’un combat qui n’existe pas. Ces hommes et femmes déambulent en fantasmant un monde, dignes héritiers du nihilisme post soixante-huitard qui confond la liberté de parole avec le droit de dire n’importe quoi et le droit de manifester avec le besoin de tout contester. Les penseurs des lumières qu’ils croient tous défendre doivent se retourner dans leur tombe.
Voici donc l’heure de gloire des golems désarticulés avec leurs convictions de papier instrumentalisés par des opportunistes dénués de scrupules.
Il ne suffit pas d’être rebelle pour devenir héros, encore faut-il que le combat ait un sens.
Golem : n.m., embryon, informe, inachevé, être artificiel, humanoïde fait d’argile incapable de parole et dépourvu de libre arbitre façonné afin de défendre son créateur.
Iconographie: golems déambulants dans Besançon. Photographies personnelles.
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