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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

LE DÉNI D'HUMANITÉ

Dernière mise à jour : 13 mai



Voici l’histoire d’un patient diabétique. Comme tous les patients diabétiques, il y a une chose à laquelle il faut faire attention : les pieds. La destruction des fibres nerveuses induite par un taux de sucre trop élevé pendant des années entraine une perte de sensibilité sous les pieds. Ainsi, lorsque qu’une petite plaie se forme, à cause par exemple d’un petit caillou caché dans la chaussure, il est impératif de la prendre en charge rapidement au risque de voir l’infection se répandre à tout le pied voir pire. En bref, la surveillance doit être stricte. Il se trouve que ce patient, monsieur D., avait une plaie sous le pied gauche. Des infirmières sont venues chaque jour pendant des semaines, à son domicile, pour refaire les pansements. Monsieur D. avait des consultations de suivi qui étaient prévues. Elles ont été annulées. Un jour, il alerte ses infirmières car des douleurs importantes sont apparues. Des douleurs chez une personne qui ne les ressent habituellement pas… attention. L’équipe soignante du domicile a temporisé les choses. Les informations sont ensuite remontées au médecin traitant. Pendant ce temps, le pied gauche de monsieur D. pourrissait proprement. Le temps vint où ce brave monsieur bouscula les choses et se rendit à l’hôpital, exigeant une consultation vers un chirurgien. La description du patient est assez claire pour que je n’ai pas besoin de modifier le texte : « -J’ai dû forcer pour qu’on me voit. Quand on m’a installé, l’infirmière a déballé le pensement. Quand elle a vu mon pied elle s’est reculée de 2 mètres » Le patient me mime un geste de révulsion et met sa main devant son visage, et de poursuivre : «- et l’infirmière me dit « ah ! c’est sale, attendez là ». Alors j’ai attendu. Quand le médecin est arrivé, il a jeté un coup d’œil et m’a dit : « on vous hospitalise tout de suite » » Pendant son séjour, on lui a promis qu’il conserverait sa jambe, qu’on ne couperait qu’une partie du pied. Monsieur D. est rentré chez lui avec un moignon au-dessus du genou. A son retour, autant dire que monsieur D. avait perdu en mobilité. Il bougeait moins, il restait chez lui, toute sa vie venait d’être chamboulée. De cette nouvelle vie, il en héritait un début d’escarre sous le talon droit. Monsieur D. s’est inquiété, il a allumé les feux d’alarme, mais on lui a répondu que tout rentrerait dans l’ordre avec des soins quotidiens. Lorsque je rencontre monsieur D., je remplace un autre médecin, le Docteur Arsène, et reprends donc le dossier. Le patient vient d’être opéré. Cette fois, il a gardé son genou, mais a perdu la moitié de son tibia et de son péroné et, bien évidemment, le pied. Le médecin que je remplace, que je n’ai d’ailleurs jamais rencontré, m’avait laissé un petit mot concernant ce patient : il précisait que la suite de la prise en charge était organisée et qu’il s’occupait de tout car, il se trouvait que le dit médecin partait justement travailler dans le centre de rééducation de la Mariette. Le but ? Rééducation, ré-autonomisation, pose de prothèses. Le dossier avait effectivement été envoyé dans ce fameux centre mais c’est tout, pas d’autre précision. Sans nouvelle après plusieurs jours, j’ai donc appelé le médecin, qui m’explique que le patient ne sera pas pris en charge maintenant mais que si, peut-être, on verra, il faut rappeler… Bref. Ça ne semblait pas si bien ficelé. Après quelques appels insistants de ma part, le dossier est accepté. Deux semaines se passent et le jour J. arrive. Comme de coutume, nous sommes appelés pour prévenir d’un transfert le surlendemain. La nouvelle est annoncée au patient par l’infirmière du secteur. Le patient refuse d’y aller…Stupéfaction.

Je vais voir le patient pour obtenir des explications. Au début le patient est très fermé, il ne veut pas me parler. «Non c’est non », il me coupe dès que j’ouvre la bouche, il tourne dans la chambre sur son fauteuil roulant en veillant bien à me tourner le dos. Je ne fais surtout pas l’erreur de laisser monter le ton et de le braquer. J’entrevois une faille, je me faufile et arrive à placer quelques mots qui font office de clé. Le patient se débloque, craque, explose, pleur, s’explique. Il m’explique qu’il est fatigué, qu’il a 47 ans et qu’il a perdu ces deux jambes alors qu’on lui avait promis qu’il ne serait pas amputé. Il insiste plusieurs fois sur cette promesse non tenue. Sur le fait qu’on l’a faussement rassuré. Il m’explique qu’au début de la deuxième hospitalisation et qu’après lui avoir déjà coupé en partie le pied droit, on lui avait certifié que la cicatrisation se faisait normalement et que tout irait pour le mieux. Et puis, un jour, les infirmières habituellement gaiement affables ont ouvert le pansement et n’ont rien dit. Il avait compris, il a questionné, «Ça ne va pas ? » les infirmières ont répondu qu’elles allaient appeler le médecin… Il m’explique qu'ensuite il avait à plusieurs reprises dit à mon prédécesseur qu’il ne souhaitait pas intégrer le centre de la Mariette car l’une des personnes exerçant dans le service avait agressée son ex-compagne. Mais comme d’habitude on ne lui a pas demandé son avis, on le traitre comme un chien. Non, pire qu’un chien lance-t-il. Le médecin précédent s’arrangeait même pour éviter sa chambre et ne rentrer qu’en cas d’extrême nécessité. Tout au long de sa prise en charge, pas une personne n’a pris soins d’écouter les demandes de Mr D. , ses remarques, ses questionnements, rien n’a trouvé d’écho. Sa parole ne semblait pas compter, et puis, de toute façon « Il l’a bien cherché » a-t-il entendu au travers d’une porte laissée entre-ouverte… Car oui, en effet, Mr D est un toxico, un camé, un beatnik, un accro, un drogué. Sa parole on s’en fiche, il a choisi une vie de dépravé, on ne va pas se battre pour lui… Sauf que ! Personne ne s’est non plus soucié de savoir que monsieur D. avait eu une vie emplie de malheurs dont le dernier grand évènement est une épouse enceinte qui décède dans un accident de voiture. Voilà un homme qui n’a jamais eu la main sur sa vie et à qui on vole encore le choix de prendre en charge sa maladie. Personne ne lui a même demandé s’il avait envie de se battre. Mais oui, il le veut. Alors peut être que Monsieur D n’est pas complétement sincère, peut être déforme-t-il les faits, je n’étais pas là au début, mais ce qui importe c’est la souffrance qu’il ressent, cette injustice si destructrice. En médecine nous avons le devoir d’expliquer mais aussi de s’assurer que le patient a entendu et compris. Oublier cette règle quel que soit le sexe, la couleur de peau, la religion, ou bien les addictions du patient, c’est être coupable d’un jugement qui fait temps de dégât dans le métier qui est le nôtre. Voilà un beau déni d’humanité. Cette personne qui plus qu’aucune autre réclamait une attention s’est retrouvé mise sur la touche par des soignants décidés à penser et choisir pour lui tout en oubliant la fragilité qui était la sienne. Monsieur D ne touche plus à l’héroïne, il souhaite s’en sortir, et aussi minime que soit ma participation dans tout ça, je lui ai promis, bien qu’il ne croit plus aux promesses, que je ferai tout pour que la suite de sa prise en charge se passe le moins mal possible.




Iconographie: Mélancolie de Edvard Munch.







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1 Comment


mnotebaert86
May 21, 2023

Merci de remettre l’église àu milieu de villag ; nous ne sommes qu’humains malheureusement mais il faut parfois nous le rappeler ❤️🙏🕊

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