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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

LE DORMEUR DU VAL

Dernière mise à jour : 18 juin



Monsieur R. est un patient d’une soixantaine d’années. Atteint d’un retard mental, il a passé sa vie sous tutelle sans famille réelle. Il se trouve que le sort s’acharne quand on détecte chez cet homme un cancer de la gorge très évolué. Début du suivi et initiation des séances de chimiothérapie. Monsieur R. ne comprend pas vraiment les tenants et les aboutissants et il refuse la prise en charge, ce qui laisse à la maladie le loisir de grandir. Avril deux mille vingt et un, je croise son chemin. Il atterrit dans le service pour altération de l’état générale. La fameuse. Il se cache derrière cette AEG une anorexie et un amaigrissement. Le patient est cachectique, apathique mais sympathique. Il débarque avec un abcès gigantesque de la région cervicale droite, abcès fistulisé à la peau qui laisse soudre un liquide purulent. La prise de sang n’est pas rassurante, une hypercalcémie majeure qui laisse craindre le pire. Malgré le début des antibiotiques et la tentative de vidange de l’abcès, Monsieur R. développe dans les quarante-huit heures suivant son entrée une staphylococcie maligne de la face. Même sans être du milieu, le nom est effrayant. Mais monsieur R. n’en a cure. Du moment qu’on le laisse tranquille. Ce pauvre homme a la moitié de la face infectée, l’œil droit ne s’ouvre qu’à demi, la tumeur le comprime à bas bruit, plus un aliment solide ne passe, l’homme est en très mauvaise posture, mais il reste serein. Heureux les simples d’esprits disait le bouquin. Ce n’est pas faute de l’interroger, mais rien. Pas de douleur, pas d’anxiété, seulement l’envie qu’on le laisse dans ses pensées. Ce matin je débute ma visite et rapidement la chambre de monsieur R. apparait. J’entre et le découvre endormi. Recroquevillé en position fœtale, son visage repose sur son coté malade laissant ainsi à jour son hémiface saine. Il dort paisiblement, ses traits sont détendus, il semble apaisé, dans un état de bien-être. Je me suis posté là, devant le lit, et je l’ai regardé dormir. Il a l’air d’un poupon qui profite du sommeil du juste. Sa respiration est lente, sa poitrine soulève lentement la couverture rouge qui le recouvre totalement ne laisse que sa tête apparaitre, sa tête qui est enfoncée tendrement dans son oreiller. Aucun médicament n’a été instauré pour l’endormir, il dort, c’est tout. Je ne sais pas pourquoi je suis resté là à le regarder. Peut-être étais-je heureux de le voir si bien alors que son corps va si mal. Peut-être m’a-t-il apaisé dans cette période si difficile. Je ne sais pas vraiment ce qui se passait dans cette chambre. Malgré les perfusions et les pousses-seringues, malgré la vie dure qui a cours derrière cette porte, je ressentais la légèreté fantastique qu’il règne dans la chambre d’un enfant fraichement endormi. Je ne l’ai pas réveillé, je n’avais d’ailleurs rien de mieux à lui offrir que son repos. Je suis parti à pas de loup en veillant à ce que la porte ne fasse aucun bruit. J’ai refermé cette petite boite précieusement, ce petit écrin qui renfermait toute l’innocence du monde puis j’ai repris ma procession après ces quelques minutes vagabondes.. Il n’y a pas de morale à cette histoire. J’avais simplement à cœur de figer cette instant pour l’imprimer dans ma mémoire.




Iconographie: L’homme blessé par Gustave Courbet.









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