Quand on questionne les Français sur ce dont ils sont les plus fiers dans leur pays, souvent il en ressort: « Le service public ». Malheureusement, c’est sans savoir qu’il est en train d’être bradé insidieusement dans les ruelles sombres de la république. Voici l’histoire d’un hôpital public qui présente la caractéristique d’être gentiment démonté brique par brique. Nous sommes dans un département sauvage du centre de la France, un petit hôpital d'à peine soixante-dix lits m’accueille pour un remplacement. Alors le mot remplacement est à prendre avec des pincettes, je ne remplace personne, je bouche le trou des manques chroniques de personnel. Très rapidement, je suis subjugué par l’organisation. Cet hôpital possède deux services de médecine qui comprennent la majorité des lits. Il y a un petit service de pédiatrie et un service de gynécologie. Ces deux derniers survivent seulement sous la pression d’élus locaux, mais à la moindre faille, au moindre moment d’inattention, tout déraille et c'en sera fini. Cet hôpital fonctionne étrangement. Les services susceptibles de rapporter de l’argent sont privatisés. Je m’explique. Il a été décidé par l’Agence Régionale de Santé que la chirurgie serait privée. On hérite donc d’une clinique privée accolée à l’hôpital. Qui dit privée dit lucratif, qui dit lucratif dit intéressé, donc à chaque fois qu’on a besoin d’un chirurgien, si le patient semble trop compliqué, c’est un refus qui nous est opposé. Dans un hôpital périphérique, autant dire que quatre-vingts pour cent des patients ne répondent pas aux critères mercantiles. L’ensemble des problèmes chirurgicaux doivent donc être évacués sur le centre hospitalier le plus proche qui est situé à une heure de route ou bien vers le CHU à une heure et demi. Pratique. Parlons maintenant du laboratoire de biologie. Toute la biologie passe par un laboratoire privé lui aussi collé comme une sangsue aux murs de l’hôpital. Non seulement les actes privés sont privilégiés aux demandes des services, ce qui fait que les médecins ne peuvent avoir les résultats des prises de sang que vers midi-trente voire treize heures mais en plus, il est impossible de demander des analyses qui sortent un peu du train-train quotidien. Pour couronner le tout, le personnel est odieux avec les agents du centre hospitalier. De toute manière, impossible de faire sans eux, donc on fait selon leur bon vouloir. Quand on sait que des résultats des bilans biologiques dépendent les prises en charge, les changements de traitements, les demandes d’examens… je vous laisse imaginer le rendement de cette organisation chaotique. On continue la gabegie avec le service de nettoyage. Exit les agents de services hospitaliers, pour assurer la remise en état des chambres des patients, demandez le service payant. Autant dire que c’est des horaires de bureau, personne avant neuf heures du matin, puis disparition entre midi et treize heures et après dix-sept heures plus personne dans la demeure. Donc, quand des sorties se font hors heures-ouvrables, c’est le personnel hospitalier qui gère. Et puis il y a les patients qui n’ont même pas la politesse de sortir ou de mourir en journée… La direction avait sûrement envisagé que les sorties se feraient sur les heures ouvrables. On passe aux services de location de matériels qui, comme les autres, viennent manger sur la carcasse encore chaude de l’hôpital martyrisé. Location de matériels ventilatoires ou de matelas thérapeutiques c’est à l’extérieur que ça se pratique. Plus de regard sur le matériel, son entretien, sa disponibilité, le seul droit qu’il nous reste c’est de payer. On termine par le clou du spectacle, le service d’imagerie-radiologie localisé au sein même de l’hôpital. Locaux de l’hôpital, brancardier de l’hôpital pour un scanner et une IRM privés. Fantastique. Plus c'est gros plus ça passe. Alors si cet hôpital pousse le vice à son paroxysme, il est très loin d’être un cas isolé. Tous les hôpitaux français externalisent de plus en plus leurs services pour une autonomie de moins en moins garantie. Le service public a perdu son indépendance au profit de groupes privés. Voilà comment il se fait vampiriser grâce à nos impôts. Voilà comment nos impôts engraissent le privé. Alors pourquoi pas ! Mais que les choses soient dites, assumées et surtout votées. Si la décision démocratique et celle du démantèlement de l’hôpital ou même celle du financement du privée sur le socle du public, alors soit. Mais ce qui se passe en ce moment est tout différent, on nous berce d’illusions pour mieux camoufler la trahison. L’hôpital souffre des mêmes maux que le reste de la société française, celle d’un ultra libéralisme décomplexé et non contrôlé dont les portes ont été entrouverte par Mitterrand et agrandies par tous les gouvernements successifs. Cette histoire me fait penser au sketch des inconnus : « Ils ont décidé de créer une clinique au sein même de l’hôpital afin de, euh, fournir de meilleures prestations quant aux soins médicaux ». Sauf que ce qui était une blague il y a quarante ans est devenu la réalité aujourd'hui. Il ne s’agit pas d’un sketch mais de l’avenir de nos services, de la présence de l’état dans les activités de soins et du patrimoine républicain que nous souhaitons laisser à nos enfants. « Quelle malchance a pu dénaturer l’homme – seul vraiment né pour vivre libre – au point de lui faire perdre la souvenance de son premier état et le désir de le reprendre ? » Etienne de La Boétie
Iconographie: Les Tricheurs par Le Caravage.
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