La médecine, dans ce qu’elle est de scientifique, est une discipline vivante. Par vivante, j’entends qu’elle n’est jamais instituée, validée et définitive, elle est en perpétuelle évolution. S’il est nécessaire de regarder dans le passé pour comprendre d’où nous venons, il est tout aussi important de se projeter dans l’avenir pour savoir où nous allons.
La médecine évolue de plus en plus vite. Elle a connu une grande avancée par millénaire lorsqu’elle était balbutiante, elle a ensuite muri avec des nouveautés tous les deux siècles pendant le moyen âge. Adolescente, à la renaissance, c’est un bond majeur par siècle et enfin, jeune et adulte, elle est entrée dans l’air moderne pour évoluer tous les dix ans. Aujourd’hui, au XXIe siècle, il ne se passe pas une année sans que la recherche avance vers de nouvelles découvertes. Chaque jour un nouveau projet, mais alors, quelle sera la médecine de demain ?
Il faudrait consacrer un livre entier sur le sujet, mais aujourd’hui j’oriente ma réflexion sur un aspect, la question éthique et philosophique du transhumanisme.
En 2021 nous sommes dans la capacité de changer le cœur biologique pour un cœur artificiel. Pour le moment, le cœur mécanique fait office de relais avant une transplantation de cœur biologique. Mais cette technique, comme toute autre, ne demande qu’à évoluer. Très rapidement, nous aurons la possibilité d’implanter des cœurs artificiels avec une durée de vie peut être illimitée. Il se posera alors une question : pourquoi ne pas implanter ces machines à tout le monde ?
En effet, si la copie est plus performante que l’original, pourquoi ne pas demander à changer de moteur ? Fini les infarctus, les troubles du rythme, les malaises, les blocs auriculoventriculaires, les torsades de pointes, les morts subites et autres défaillances, le cœur ne serait plus le point faible de l’organisme. Cette dernière observation implique que l’espérance de vie ferait un nouveau bond en avant. Bien que tous les organes soit soumis au vieillissement, c’est bel et bien le cœur le maillon faible.
Maintenant, poussons le postulat un peu plus loin. Imaginons que dans les années à venir nous soyons en capacité de créer des reins synthétiques, des foies industriels et des poumons de fabrique, comment ne pourrions-nous pas les proposer pour améliorer les faiblesses de notre système. Ces hypothèses seront bientôt applicables à l’ère de l’impression 3D et ces questions méritent d’être posées rapidement. Mais continuons avec ma démonstration. Attaquons-nous à un organe plus mystérieux, tellement élaboré qu’il est le système le plus complexe connu à ce jour : le cerveau. Avec ses cents milliards de neurones et ses milliers de milliards de connexions, la possibilité de synthèse est encore éloignée. Si notre génération est à l’abris de ces questions, nous sommes néanmoins confrontés à d’autres difficultés. Depuis peu, des équipes de recherche ont réussis à effacer mais également à implanter des souvenirs. Fini le traumatisme de guerre, fini le deuil difficile, terminé la rupture compliquée, effacé le souvenir du jean qui nous a échappé lors des dernières soldes. Un monde de bonheur et de souvenir heureux. En parallèle, des équipes travaillent sur des thérapies de régénération neuronale. Si l’on ne peut pas changer l’organe, nous arriverons rapidement à freiner voire stopper son vieillissement et peut-être à l’inverser en le régénérant.
Tentons une expérience. Imaginez que l’on puisse greffer des cerveaux. Imaginez une personne proche de vous à qui l’on changerait l’unité centrale pour la remplacer par celle d’un parfait inconnu, ou même un organe neutre de synthèse auquel on implanterait nos souvenirs, cette personne que vous connaissiez disparaitrait à jamais pour laisser la place aux souvenirs, aux caractères, aux émotions d’un autre ou à des souvenirs de artificiels. Pourrait-on donc encore dire que cette personne est toujours votre proche ? Une réponse négative signifierait qu’un individu n’est défini que par un ensemble d’éléments neuropsychiques tous dépendant d’un seul organe, le cortex cérébral. Ainsi, nous ne serions que ce que nous pensons, ce que nous vivons, ce que nous ressentons. Mais vous en conviendrez, nous ne sommes pas uniquement des unités pensantes, nous sommes psyché, mais nous sommes également corps, plus précisément l’interaction de ce corps, outils d’interaction et du cerveau qui reçoit, traite, interprète et stock ce flux sensitif. Le corps est le médiateur entre le monde et le cerveau. Le corps permet d’être reconnu, il permet certaine action selon qu’il est petit, gros, blanc, marron, musclé, féminin, masculin, unijambiste, édenté, aveugle, diabétique, alcoolique…
Nous sommes donc la sommes de l’outil et de la commande. Imaginons alors que l’on modifie seulement le corps.
Deux cas de figure : celui où une personne donnée se voit amputée d’une fonction. Par exemple un accident de la route, la personne perd une jambe et on la lui remplace. Ce remplacement a pour effet de ramener le corps à l’état antérieur et ainsi restitué une fonction dans laquelle l’individu s’est construit et se reconnait.
Maintenant prenons une personne saine de corps et d’esprit souhaitant se faire augmenter. Amélioration de la force musculaire, exacerbation des facultés cérébrales, visuelles, cognitives.
La question qui se pose est à quel stade devenons-nous autre chose que ce que nous étions au départ ?
Est-ce déjà le cas lorsque l’on porte des lentilles de contact ou des semelles orthopédiques. Où se trouve la frontière entre le soins et l’augmentation des facultés de notre espèce ?
Est-on humain parce que l’on a la capacité de se dépasser ou arrêtons-nous de l’être pour devenir une autre espèce créée par la précédente ? L’humanité est elle la simple conscience d’elle-même ou est-elle plus terre à terre, définie par une station debout, un pouce opposable, des organes particulier et donc le résultat d’une évolution que je qualifierais de naturelle. Sommes-nous humains parce que justement nous pouvons nous réparer et nous augmenter ?
Car à y regarder, à quelques différences, notre corps ressemble beaucoup à celui d’autres animaux, seule nos capacités de réflexion et d’intégration de notre corps dans son environnement nous séparent de toutes les autres branches du vivant.
Je ne prétends pas apporter des réponses, mais il me semble vital d’apporter des questions pour appréhender au mieux la révolution que s’apprête à vivre l’Homo sapiens, celle de sa propre création visant à parfaire et corriger ce que l’évolution a engendré. Devenir les propres artisans de l’évolution et donc se substituer à la nature.
La question la plus importante restera selon moi, comment nous définir pour se prémunir de nous faire disparaitre ?
Pour illustrer mes propos, je vous laisserai sur cette problématique, celle du bateau d’Ulysse. Le bateau d’Ulysse est récupéré est conservé dans un musée pour contempler la gloire de ce héro légendaire. Le navire est soumis aux affres du temps et il est nécessaire de le restaurer. On change ici une planche, là un bout, ici une voile. Après plusieurs siècles de conservation, plus aucune pièce de l’embarcation initiale n’est d’origine. S’agit-il- encore du bateau d’Ulysse ?
Le bateau d’Ulysse est il l’ensemble de planches récupérées ou bien l’idée, le concept Bateau d’Ulysse ?
Quand est-il devenu autre chose ? Lors du changement de la première pièce ? La moitié des composants ? La dernière vis ?
Il s’agit peut-être d’une question qui ne connait aucune réponse mais à laquelle notre espèce devra tout de même trouver solution…
Bonne réflexion !
Iconographie: Mosaïque d'Ulysse et les Sirènes, auteur inconnu, IIIè siècle
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