Nul besoin de tourner autour du pot, ceux qui me lisent auront compris que la croyance ne fait pas partie de mon éventail d’outils intellectuels.
Par contre, mon couteau suisse cérébral possède bien l’option tolérance, je n’ai donc jamais attaqué une personne sur cet argument… sauf. Sauf lorsque cela interfère avec le bon sens ou la santé d’un patient.
La médecine essaie autant que faire se peut de se hisser sur les épaules de la science.
L’obscurantisme s’y accroche pourtant avec la volonté de prendre le train en marche et la religion peut ainsi s’inviter d’une manière inquiétante.
Je me souviens de ce chef de service, croyant, pratiquant et faisant preuve d’un prosélytisme à faire pâlir les missionnaires les plus aguerris.
Au cours d’une discussion, un après midi, j’ai en mémoire que la conversation s’axe autour des populations préhistoriques. Soudain, je perçois que mon chef de l’époque rétrograde et semble entravé par ses idées. Il m’explique que « ce folklore » n’a jamais été réellement prouvé. Un peu désarçonné, je demande à quel « folklore » il fait allusion. Il évoquait bien les « Hommes préhistoriques ». Après une demande de précision de ma part, il m’informe que la civilisation humaine est apparue quatre mille ans avant Jésus Christ avec Adam et Eve…
J’ai ri très fort pensant à une blague, mais mon interlocuteur, créationniste convaincu, est resté de marbre et ne riait absolument pas. Je lui ai alors demandé ce qu’il faisait des dinosaures.
« Jamais existés ». En cinq minutes on venait de perdre George Cuvier et Charles Darwin.
C’est à cet instant que j’ai commencé à pâlir. Comment peut-on exercer la médecine en faisant fi d’un pan entier de la science moderne. Mais admettons. C’est le fait de pousser le raisonnement qui devient effrayant et notamment les phrases qu’il pouvait lancer aux patients et que je prenais initialement pour de l’humour noir. Faut-il laisser faire la volonté divine ? Dans quelle mesure la religion interfère-t-elle dans la prise de décision de fin de vie, de soins palliatifs ?
Les blagues misogynes lancées sur le ton de l’humour devenaient tout à coup beaucoup moins drôles si tant est qu’elles l’aient été.
Je n’ai pu m’empêcher par la suite de douter de toutes les prises en charge de ce praticien. Pourtant, j’ai souvent travaillé avec des médecins croyants ou pratiquants de confession catholique, judaïque, protestante, musulmane, et aucun ne m’a fait douter de sa capacité à exercer.
Alors quel était le problème avec le pourfendeur des sciences ?
Probablement que tout est affaire de degré. Lorsque la religion est mesurée, privée et n’empiète pas sur la conscience de sa profession, la cohabitation semble possible. Même si certaines questions peuvent rester délicate (Euthanasie, interruption volontaire de grossesse, procréation médicalement assistée, …), la majorité des médecins peuvent exercer sans renier leurs pratiques et leurs croyances. Mais lorsque la conception du monde et de l’être humain est remise en cause dans sa réalité physique et métaphysique, il se pose la question de la capacité dudit médecin à pouvoir exercer objectivement son art.
Le médecin dont je parle n’avais tracé aucune barrière entre ses croyances et la pratique en service public. Il s’ingérait dans la vie de tout un chacun et notamment des femmes qu’il estimait devoir rester à la maison.
Je garderai en souvenir cette joute verbale avec l’un de ses collègues, un communiste, concernant la circoncision. Notre représentant de l’islam assurant que le geste assurait une meilleure hygiène quand l’athée opposait le contraire. La science donne raison au deuxième. Ironie du sort, j’ai en mémoire l’irascibilité du premier lorsqu’il fut atteint par une prostatite…
Plus tard dans ma vie, je côtoierais d’autres créationnistes mais qui ne laisseront jamais transparaitre dans leur pratique la foi dont ils sont animés.
Le jeune interne idéaliste n’imaginait pas qu’un médecin, personne de science s’il en est, puisse à se point ignorer et renier la connaissance.
J’idéalise toujours mon métier comme l’utilisation par l’humain d’une science pour lui et par lui. Cette idéalisation intellectuelle, morale, éthique, me pousse à m’élever mais paradoxalement me rend plus difficile les conceptions obscures que sont les croyances et comment l’esprit les articulent avec la science.
Peut-être pourrais-je un jour comprendre… il faut garder la foi.
Iconographie: La Lutte du Savoir contre l'Ignorance par Jean Lurçat
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