Quand on crée un système, beaucoup de personnes s’empressent de placer leurs pièces dans les rouages pour participer au fonctionnement, mais une fois la machine lancée, les mauvaises habitudes s’installent et se reproduisent jusqu’à faire du système initial une mécanique bancale.
La petite musique jouée par nos aïeux est ensuite reprise de génération en génération sans que jamais se pose la question de la rigueur de la partition. Des petites erreurs s’accumulent jusqu’à ce que le mécanisme de départ ait complètement disparu.
Dans ce texte, je vais vous présenter certaines dérives dans l’utilisation des médicaments.
Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple d’un produit connu de tout le monde : La diosmectine plus célèbre sous le nom commercial de Smecta.
Qui n’a jamais pris ou donné ce médicament ? Le traitement antidiarrhéique par excellence. Arrivé sur le marché en 1975, il est toujours commercialisé en 2021 après quarante-six ans de service. Presque un demi-siècle à utiliser et à prescrire un médicament inefficace. Des millions de boîtes vendues sans le moindre bénéfice rendu. Alors j’entends depuis là les « Chez moi ça marche » ; « Alors moi, un comprimé et c’est fini » ;« Ça me tapisse l’estomac et ça me calme ».
Et je n’en doute pas une seconde. J’ai prescrit ce « plâtre » pendant des années aussi et Ô miracle, certains de mes patients ont vu leurs diarrhées disparaitre.
« Mais ; il vient pourtant de nous dire que ça ne marchait pas ! ». Oui je l’ai dit, ce qui marche c’est l’effet placebo.
« Ah non ! sur moi ça marche vraiment ».
Mais oui, l’effet placebo ça marche vraiment. Ce n’est pas un signe de faiblesse que d’être sensible à cet effet, c’est juste une réponse normale.
« Alors si ça marche, pourquoi il nous embête ? »
Parce que le premier problème réside dans le taux d’efficacité et le second dans le fait que le produit soit vendu comme médicalement utile et non comme un placebo.
Pour revenir sur le premier point, les études s’accordent sur le fait que cet effet fonctionne dans un peu moins de 30% des cas. C’est grossièrement le ratio retrouvé pour la diosmectine. Sauf que 30% ce n’est pas suffisant pour autoriser la mise sur le marché d’un traitement. De plus, vendre le produit comme efficace « scientifiquement » peut être comparé à de la fraude, de l’arnaque, de l’abus de faiblesse voire du charlatanisme.
Depuis son lancement, aucune étude n’a permis de mettre en évidence un réel bénéfice à son utilisation. Quelques études menées par le laboratoire parvenaient à démontrer qu’en moyenne, les patients testés avaient une petite réduction de la durée des diarrhées d’une vingtaine d’heures et une faible baisse de leur quantité. C’est-à-dire que même le laboratoire qui commercialise le « médicaments » n’arrive pas à dégager un réel avantage à sa molécule.
« Alors pourquoi continuer à l’utiliser ? ».
Très bonne question. Du côté des médecins, l’habitude est ancrée. Quand on arrive comme jeune docteur, on reproduit certains schémas de nos pairs. Il existe des milliers de médicaments et il est impossible de connaitre l’ensemble des études de chacun d’entre eux, il faut donc « faire confiance » au système en place. Parfois la pratique de la médecine relève malheureusement plus de la foi que de la science.
Heureusement, des gardiens veillent à la remise en cause du système. C’est le cas par exemple de la revue indépendante « prescrire » qui analyse, décrypte, fouine dans les méandres des études thérapeutiques pour affirmer ou infirmer l’efficacité des médicaments. C’est cette revue qui a rapporté la présence de plomb dans l’argile de la diosmectine. Si j’ai prescrit ce « traitement » pendant quelques années, maintenant je pense qu’il faut arrêter de consommer ce produit inefficace et potentiellement délétère.
Voilà pour le cas du Smecta, mais il n’est évidemment pas le seul.
Une grande partie des médicaments antiémétiques ne servent qu’à rassurer les patients et surtout les soignants qui se trouvent fort dépourvus lorsque le vomi advint.
Il n’y a qu’à regarder la liste des médicaments retirés du marché et qui ont eu des vies tout à fait honorables en termes de longévité : rofécoxib, benfluorex, Dextropropoxyphène, nifuroxazide pour les plus connus.
On estime qu’un tiers des médicaments sur le marché ont une efficacité faible voire nulle. Pire, certain montre un danger réel avec une balance bénéfice/risque très défavorable. C’est un vrai scandale sanitaire et surtout économique quand on sait que l’iatrogénie est une cause majeure d’hospitalisation. Le coût de remboursement de ces médicaments est exorbitant. Mais il y a toute une industrie qui fonctionne grâce à ces produits. Premièrement les laboratoires eux même avec leurs cortèges de directeurs, d’actionnaires et autres comités. Ensuite, les sites industriels qui sont installés dans des bassins de population où ils sont parfois les seuls employeurs. Viennent ensuite la logistique, le transport et les sous-traitants et en bout de chaine les pharmaciens de ville. Tout un système est construit et vit sur du vent et du mensonge. Est-ce que la faim justifie les moyens ?
La tristesse c’est que même animé par la volonté de bien s’informer, il est impossible de connaitre l’ensemble des médicaments utiles, inutiles, dangereux, etc…
C’est pour cela qu’il existe une haute autorité de santé, une agence française du médicament, des députés, un ministre de la santé. Mais quand ces personnes ne font plus leur travail, comment pratiquer surement ? C’est impossible. Ces gouvernants qui devraient être les garants de la sécurité de notre travail, qui devraient tout mettre en œuvre pour s’assurer que nous exercions dans de bonnes conditions, et bien ces gouvernants ont depuis longtemps jeté ce système en pâture à la bête libérale.
Comment prendre au sérieux un système qui soigne avec des paillettes ? Que nous soyons abusés lors de la sortie d’un médicament, pourquoi pas, mais que des dizaines d’années plus tard et malgré de multiples études à l’appuis, on se permettent de persévérer dans la bêtise, c’est clairement de la compromission. Les autorisations de mise sur le marché sont parfois accordées par copinage ou par pression d’industriels peu scrupuleux ce qui fait vaciller la confiance même dans les médicaments sérieux. Pire, l’essentiel de la presse médicale est financé par l’industrie pharmaceutique. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec la presse générale et leurs propriétaires multimilliardaires.
Heureusement, quelques revues indépendantes financées par leurs lecteurs arrivent à assurer la résistance. Beaucoup de confrères refusent de voir la vérité en face car il est difficile de donner sa vie professionnelle aux patients tout en voyant que la corde qui nous assurent est tenue par des voyous. Parfois il est plus simple de se persuader que tout est rose.
Comment argumenter devant les malades que l’on refuse de prescrire un médicament dont on connait l’inutilité mais que les instances dirigeantes maintiennent sur le marché ? Le flou et la contradiction amènent le doute et la suspicion.
Je rencontre le même problème avec mes patients hospitalisés qui me demandent des antitussifs. « Vous n’auriez pas un petit sirop ? ».
J’imagine que s’il me demande ça, c’est qu’on leur a déjà prescrit ce type de médicament par le passé alors qu’on les sait inutiles et dangereux. De même avec les « petits remontants ». Ils attendent de moi une petite dose de vitamine C ou tout autres comprimés destinés à faire vivre les pharmaciens. Aucun médicament n’a jamais aidé à retrouver de l’énergie. Le seul serait peut-être la cocaïne mais comme je souhaite continuer à exercer, je m’abstiens.
Alors il n’est pas question de me déresponsabiliser. Je suis autant coupable que mes consœurs et confrères le sont. J’ai d’ailleurs prescrit plusieurs de ces traitements pendant longtemps car le système m’y poussait. Ensuite, je les ai utilisés en me disant qu’au pire ça ne fera pas de mal. Mais c’est ici que se cache le vice. Il est toujours possible que l’administration du produit soit délétère voire entraine une allergie, sans compter sur le problème éthique de proposer un traitement inefficace et qui a un coût. Il est très difficile de sortir du courant quand tout vous pousse dans une seule direction. J’ai décidé d’exercer mon pouvoir, celui que nous avons tous, celui d’expliquer quitte à se fatiguer, celui d’informer les patients quand je leur dit « non ». Mais que de temps perdu alors qu’il suffirait d’une décision d’Etat.
Les hautes instances gouvernementales sont gangrenées par les lobbies qui comme dans d’autres branches (Agriculture, industrie pétrolière, agroalimentaire, …) pervertissent par ruissèlement toutes les couches de la société. Il n’est pas dur de comprendre la méfiance de la population envers notre système. Le mécanisme initial prévoyait des garde-fous grâce à des autorités de régulations s’appuyant sur des raisonnements et des travaux scientifiques. Aujourd’hui la compromission s’est infiltrée entre les rouages qui s’autoalimentent pour leurs propres avantages.
« Alors faut-il avoir encore confiance dans la médecine moderne ? »
Oui, bien sûr. La prudence ne doit pas se transformer en défiance car la majeure partie des praticiens est de mieux en mieux informée grâce aux moyens de communication modernes. Le nettoyage se fait progressivement et de plus en plus rapidement. Charge aux médecins et aux usagers de faire plier le monstre pharmaceutique
Seule la lumière de la connaissance peut faire reculer l’ombre de l’obscurantisme, encore faut-il trouver le courage d’allumer la mèche.
Iconographie: Hugh Laurie: The House ...of pills par Charis Tsevis
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