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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

L'OBSCURANTISME EN MEDECINE -LES LUNES PROLIFIQUES-

Dernière mise à jour : 21 mai 2024



Sorcellerie, chamanisme, magie, remèdes de grand-mères, exorcisme, homéopathie, grigris, talismans, magnétiseurs, médecine chinoise, marabouts, acupuncture, fausses croyances, théorie du complot, astrologie…

Comment la médecine gère-t-elle cet obscurantisme et comment cohabite-t-elle avec ?

Tel sera l’objet de ces prochains feuillets.

Alors entrons dans le monde fabuleux de l’affabulation.

Il est monnaie courante d’entendre, au détour d’une conversation, une personne me demander ce que je pense d’une pratique ou d’une autre. Je déclare habituellement qu’il s’agit de croyances populaires relevant plus du domaine du folklore ou de la tradition que de la science. Ce qui m’a souvent frappé, c’est l’offuscation de la personne qui attendait de ma part une quelconque validation scientifique.

Toucher aux croyances, c’est toucher à des certitudes encrées profondément et n’ayant comme seul fondement que ladite croyance. Ebranler cette fondation revient à remettre en question tout le processus de fonctionnement.

Je suis de ces élèves qui furent très sensibles aux pensées du siècle des lumières et qui ont forgé leur raisonnement sur la logique. J’estime, quel que soit le niveau d’étude, que chacun possède l’outil pour fonder et forger son jugement s’il le met à l’épreuve de la logique. Ainsi, je suis extrêmement troublé lorsque cet obscurantisme gangrène les rangs des soignants qui se doivent de répondre à un minimum de logique.

Je vais commencer par un exemple simple, une croyance populaire qui voudrait que les nuits de pleine lune soient plus propices aux accouchements.

Je me souviens très bien de la première fois où cette théorie m’est tombée dans l’oreille. J’étais étudiant en 4eme année de médecine et je subissais mon stage obligatoire en gynécologie et obstétrique au centre hospitalo-universitaire. Alors que je me trouvais dans le service d’obstétrique, c’est une sage-femme, plutôt expérimentée, qui en discutant avec ses collègues de ce sujet, a vu mes yeux s’embrumer d’une certaine curiosité mêlée de scepticisme.

Sans que je ne puisse dire mot, elle me lança comme on sermonne un mauvais élève :

« -Mais si, c’est un fait, on sait que les nuits de pleine lune sont très agitées ».

« Mais si, c’est un fait » Une argumentation solide qui me fît saigner le lobe pariétal. J’avais donc comme seule explication un « on sait ».

Mais n’étant pas obtus et même de nature curieux, j’ai décidé de creuser. Après tout pourquoi pas ?

Est-ce que la lumière plus importante déclencherait une quelconque sécrétion hormonale qui aboutirait à des contractions utérines ? les soirs de pleine lune sont-ils gravitationnellement différents des autres ? Je me souviens bien de mes leçons de cours élémentaire m’expliquant les phases de la lune, la réponse me semble négative, mais je décide d’approfondir.

J’ai entrepris ce que cette brave sage-femme n’avait sans doute jamais fait : quelques heures de recherche pour éprouver la théorie. Mais avant de trouver une explication, fallait-il encore être sûr que le « fait » était juste. Y-a-t-il vraiment plus de naissance à l’apogée de la période synodique ?

Pour moi, l’étude devait être d’une simplicité absolue : prendre un certain nombre de maternités, dénombrer les accouchements journaliers, comparer avec le calendrier lunaire et ainsi établir si oui ou non les soirs les plus riches en naissances correspondent aux soirs de pleine lune.

Je pense que même les plus croyants et les moins instruits ne peuvent contre-argumenter sur la méthode qui est des plus simples.

Plusieurs de ces études ont bien été menées. Les résultats sont clairs : aucun pic de naissance les soirs de pleine lune.

La question qui s’est imposée à moi ensuite était la suivante : pourquoi cette croyance perdure-t-elle ?

Les réponses sont multiples. Il faut comprendre qu’une croyance est une croyance. Vérité de La Palice. Mais c’est parce qu’elle est croyance qu’elle repose et se renforce seulement par l’auto persuasion.

Je m’explique. Quand on s’est laissé charmer par cette idée attrayante (la magie a toujours un côté fascinant), nous allons, pour conforter celle-ci, ne retenir que les arguments qui la renforce et ignorer les contre-arguments. Ainsi, si par hasard l’année est marquée par une ou plusieurs nuits de pleine lune associées à un nombre d’accouchement au-dessus de la moyenne, la croyance sera renforcée en gardant en tête ces fameuses nuits mais en oubliant que les dix autres nuits de pleine lune de l’année ont été normales. En prenant le problème en sens inverse, une nuit sans lune marquée par une explosion record des accouchements ne sera pas retenue car elle ne conforte pas la croyance.

Un autre mécanisme de renforcement fallacieux existe : la création de lois universelles à partir d’exemple. Sur le même sujet, combien de fois ai-je entendu des femmes me dire : « -Moi je devais accoucher le 3 avril, et bien j’ai accouché le 15 mars et c’était un soir de pleine lune, ça prouve bien l’influence de la « nature » ! » Je leur réponds qu’un jour j’ai eu un accident de voiture et que devant moi s'était trouvée une voiture rouge et blanche, faut-il donc faire attention aux voitures rouge et blanche ?

Coïncidence n’est pas science.

Prenez ces fonctionnements, associez-y quelques méconnaissances d’astronomie, une pincée d’absence de lecture, un peu de manque de courage pour valider ce que l’on avance et on obtient une mixture de superstition sur fond de nature magique.

Malheureusement le vice est plus profond encore. Quand j’ai rapporté les chiffres des études ayant noté scrupuleusement le nombre d’accouchement sur plusieurs années, je les ai présentés à notre accoucheuse. Faire ça ou peigner la girafe...

Mais la réaction était normale puisque les arguments contredisaient les convictions. Ce mécanisme neurologique est naturel. Ce que l’on appelait avant le cerveau reptilien, consiste en fait en un mode de protection par le déni voire même l’agressivité. C’est ce qui fait que, pris la main dans le sac, certaines personnes contestent sincèrement des faits incontestables.

Il est extrêmement difficile de remettre en question une information que l’on colporte depuis des années. La renier reviendrait à se renier soi-même. C’est le même principe observé dans les religions, ou dans les partis politiques. On suivra le candidat de notre parti non pas parce qu’il est le meilleur ou présente un bon programme, mais parce que c’est le candidat du parti.

L’argument qui m’a été opposé ce fameux jour se trouvait être que j’étais, je cite : « une personne fermée d’esprit » alors même que je me remettais en question en me lançant dans des recherches là où cette femme dite ouverte campait sur ses positions. Être ouvert dans ce cas relève en fait de la défense de théories antiscientifiques et non de la mise à plat de ses préjugés… inutile d’argumenter.

Ma place sera toujours la plus difficile, celle de celui qui doit travailler pour forger ses arguments contre ceux qui semblent les détenir de manière innée. Peut-être ces efforts pourront-ils transmettre la flamme autour de moi.

Je ne demande pas que l’on croie à ma vérité mais seulement qu’on la vérifie pour se construire la sienne.




Iconographie: Symboles du cycle de la lune, origine inconnue.







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Dr D.R.

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