La psychologie humaine a inspiré les penseurs, les philosophes, les écrivains, les dramaturges, les psychologues, les analystes, les peintres, les psychiatres, les artistes et les scientifiques, les sociologues et les politologues et j’en passe et j’en oublie. La psychologie humaine est insondable, elle est donc une source inépuisable d’étude et pour moi de réflexion et d’inspiration. Voilà une semaine, je découvre sur mon bureau le dossier d’un certain monsieur K. Il a soixante ans tout pile. Homme actif, il est ingénieur informatique pour une grande boite française. Il est marié, père de deux enfants et fraichement grand-père depuis quelques mois. Ce sexagénaire actif n’a pas d’antécédents, il vit sa vie intensément sans trop de ménagement. Ce dimanche, en fin de matinée, son corps va le rattraper. Au début c’est une aphasie, ensuite c’est une crise d’épilepsie. Pompiers, urgences, service de médecine et le voilà sous ma responsabilité. Ce matin, comme tous les autres, je fais le point avec les infirmières. Il ressort de cette réunion que monsieur K. est élu « première personne à voir de la journée ». La visite du matin est organisée en fonction des informations que nous livrent les équipes, aujourd’hui c’est ce monsieur que je me dois d’évaluer en premier. Je me lance, arrive et me prépare à répondre à toutes les questions sauf à celle qui va m’être posée. Je frappe et entre dans la chambre. Oui, parce qu’on frappe avant d’entrer dans une chambre. Le patient est affaibli par la maladie, pas très fière dans sa blouse ouverte derrière, alors si on lui enlève le semblant d’intimité que peut lui procurer le fait d’avertir avant de pénétrer dans la chambre, il ne reste plus beaucoup de choses auxquelles se raccrocher. Mais revenons à nos moutons. J’entre donc dans la chambre, me présente (Oui, il faut se présenter aussi) et lui demande comment il se sent. La réponse est directe, il se sent mieux et me demande avec un sourire entendu s’il pourra sortir. C’est ici que je m’arrête sur la complexité de la psychologie humaine. Soixante ans, sans antécédent, la vie croquée à pleines dents et PAN ! La crise, l’hospitalisation et tu ne te poses pas plus de question ? Que peut-il bien se passer dans cette tête à ce moment-là ? Peut-être joue-t-il le rôle du mec qui s’en fiche et sur lequel les problèmes glissent comme l’eau sur la roche lisse. Peut-être est-ce du déni. Si on ne cherche pas on ne trouve pas et donc malade on ne tombe pas. Était-ce du caprice ? dans ce monde où l’on souhaite que tout aille vite, où l’on est habitué à tout obtenir d’un claquement de doigts, peut-être voulait-il être sorti avant même que je ne l’ai examiné. Je n’aurai jamais la réponse à cette question. J’ai très souvent été exposé à cette situation, parfois je me suis braqué, parfois j’ai laissé couler, d’autres fois j’ai louvoyé, mais là je me suis assis et j’ai demandé : « -Vous faite subitement une crise d’épilepsie et vous voulez sortir sans savoir si cela risque de recommencer ? Sans discuter un éventuel traitement ? Sans comprendre pourquoi la crise est apparue ? » Moment de flottement. «- C’est pour m’organiser » Voilà la réponse, on organise. On veut caser le bilan de la crise d’épilepsie entre le devis pour les travaux du garage et le rendez-vous pour la pose de la box internet… Alors j’ai répondu qu’il ne se trouvait pas emprisonné et que si son souhait était de partir, il le pouvait, que je ne lui demanderais que de me décharger par une petite signature, et qu’il serait libre de ne pas être prise en charge. Ma responsabilité exigeait tout de même de lui présenter ce à quoi il s’expose. Il m’a donc demandé un peu narquois à quoi il s’exposait. Je lui ai énoncé « Au mieux une récidive, avec de la chance à une mort douce, au pire, à finir comme un légume ». La puissance des mots avait attiré son attention. Monsieur K. a compris que le rendez-vous à la banque attendrait la prise en charge de sa crise d’épilepsie. Nous vivons dans un monde où l’on se pense indestructible, immortel, où la maladie et la mort sont des tabous. La réaction de cet homme était celle d’une personne que l’on sort du train-train quotidien, la réaction d’un homme qui ne pense pas à la mort, la réaction de quelqu’un qui pense que tout ça n’arrive qu’aux autres et que la maladie, dans sa folie destructrice l’esquivera. Malheureusement la maladie est impartiale, la maladie ne se soucie pas de l’instant ou de l’endroit pour frapper. La maladie ne se case pas entre un rendez vous chez le coiffeur et le cours de tennis, la maladie s’impose et s’installe. Elle fait relativiser sur l’orientation que l’on donne à nos existences. J’ai annoncé deux jours plus tard qu’on avait découvert une tumeur cérébrale au niveau de son hémisphère gauche… Monsieur K. a changé. Il m’a avoué qu’il avait probablement trop travaillé et pas suffisamment pris de temps pour les choses essentielles de la vie. Monsieur K ne se souciait plus ni de sa box, ni de son garage, tout ce qu’il voulait s’était vivre pour que je l’espère, il ne retombe dans les mêmes travers.
Iconographie: Fatigue 2 par John Brosio.
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