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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

L'HOMME PRESSÉ

Dernière mise à jour : 18 juin



Il s’agit d’une journée ordinaire dans le hall des urgences traumatologiques. Il est huit heures un dimanche matin. Trois personnes sont à examiner, trois personnes qui se sortent d’un accident de voiture. Trois jeunes hommes alcoolisés qui rentraient de boite. En plus d’avoir détruit sa voiture aidé de ses un gramme quatre-vingts d’alcool dans le sang, en plus d’avoir envoyé ses amis aux urgences, le conducteur est mal élevé. Il drague outrageusement les infirmières qui sont pourtant abjectes avec lui. Mais cette ostentatoire froideur ne le freine pas, il est vautré dans le brancard comme un pacha.

Malgré cette attitude, chacun fait son travail. De l’externe, dont je fais partie à l’époque, à l’interne en passant par les aides-soignantes et les infirmières, chacun s’occupe de s’assurer de l’absence de lésion ou de traumatisme chez ces trois insouciants. Il est huit heures du matin et il y a déjà d’autres personnes dans cette salle d’attente. Il y a la vieille-dame sur son brancard qui arrive en aller-simple de l’EHPAD des trois pins suite à ses acrobaties dans le lit puis à sa chute. Il y a cette jeune fille qui n’arrive plus à marcher suite à une entorse la veille et qui ce matin ne tient plus debout et puis il y a encore deux ou trois autres patients qui attentent leur consultation, leur radiographie ou leur ordonnance.

Malgré cela, le conducteur demande beaucoup d’attention, comme un enfant. Il veut se lever pour aller aux toilettes, il exige un antalgique parce qu’il a mal à la tête et à chaque fois l’équipe s’occupe de lui, sans bienveillance ni malveillance, elle s’occupe simplement de lui, lui qui reste vautré là, dans son brancard, comme un pacha.

Vient le temps où ce n’est plus sa vessie ni sa tête qui l’embêtent mais sa conscience qui le tourmente. A priori, ce bonhomme est attendu au travail. Les rayons du supermarché deviennent incroyablement importants. Il ne s’en était pas soucié hier soir sur la piste de danse, ni cette nuit lorsque les verres il a engloutis, il ne s’en est pas non plus inquiété quant à sept heures il est reparti, pas de soucis non plus quand la voiture il a emboutie. Mais maintenant, c’est à l’équipe d’accélérer pour dépanner cet homme pressé.

De toute manière, impossible de partir avec des artères dans lesquelles l’alcool continue de courir.

Mais l’homme perd patience et s’agace, pourtant l’équipe poursuit les soins avec persévérance puis s’efface. On voit la colère, la haine dans les yeux des soignants, mais pourtant nul ne l'exprime même quand l’insouciant récidive son arrogance dans sa grande ignorance.

Car le pacha pressé est un ignorant condamné. Pendant ces deux heures d’attente, d’exigence et d’impertinence, l’équipe soignante a répondu présente alors qu’elle était détentrice de cette vérité poignante : dans sa folle échappée l’homme pressé a dérapé, tournoyé, percuté et tué la jeune femme qui ce matin-là se rendait à la boulangerie plus bas. Enfin, la police est arrivée et nous a soulagé en lui lâchant la vérité, ainsi le patient a reçu sa sentence qu’il porte encore aujourd’hui et jusqu’à la fin de son existence.





Iconographie: L'Homme qui danse d'Oskar Schlemmer.







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