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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

IRENE, LE ROSEAU CONTRE LE CHÊNE

Dernière mise à jour : 18 juin



Je vous livre ici une histoire que tout le monde connait mais que l’actualité fait resurgir des tréfonds de la première décennie de ce siècle. Une histoire faite de petits arrangements, de manipulations, de menaces et qui a entrainé entre cinq cents et deux mille morts, sans compter les taux de morbidité. J’ai été marqué par ce récit que j’ai suivi dans les médias au début de mes études. Cette affaire a dévoilé une personnalité singulière qu’il faut replacer dans la lumière. Mais commençons par le commencement. En 1976, le laboratoire Servier lance sur le marché une molécule dite révolutionnaire, le benfluorex, qui sera vendu sous le nom de MEDIATOR. Le médicament agit au carrefour du métabolisme des sucres et des graisses permettant ainsi de réduire la plaque d’athérome. En effet, la plaque athéromateuse, connue pour être pourvoyeuse de complications cardiovasculaires, est formée d’un agglomérat glyco-lipidique dans la paroi vasculaire. Les médecins sont donc invités à prescrire le médicament à visé préventive ou curative comme hypolipémiant chez les patients diabétiques en surpoids. Il devient vite un allié dans la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire et notamment en complément des autres thérapeutiques chez les patients diabétiques. Comme si cet argumentaire ne suffisait pas, le laboratoire se sent obligé d’ajouter qu’il présente d’autres vertus avec pour exemple une action anxiolytique douce… Marketing quand tu nous tiens. Comme beaucoup de médicaments commercialisés, l’utilisation initiale est parfois détournée et ce dernier est utilisé comme coupe-faim dans les pathologies métaboliques et chez les patients en surpoids. Cette utilisation hors AMM (autorisation de mise sur le marché) est bien évidemment promue oralement par les visiteurs médicaux. Vingt ans après sa commercialisation, la revue Prescrire va rapporter un manque d’efficacité manifeste du MEDIATOR dans la prise en charge du diabète. En effet, les indications sont floues et l’efficacité contestable mais le médicament continu de faire les choux gras du laboratoire et les articles restent enterrés dans les oubliettes de la communauté scientifique. En 2005, la molécule est interdite en Espagne. Les premiers signes d’alertes apparaissent mais l’agence française du médicament (qui s’appelait AFSSAPS à l’époque) ne retient aucune raison de s’inquiéter et défend ouvertement le laboratoire. En 2006, la même revue précédemment citée se pose la question des effets indésirables. En effet, des cas d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une affection cardio-pulmonaire grave, sont rapportés. De plus, la fenfluramine, une molécule très proche du benfluorex, a été tenue comme responsable de valvulopathie (atteinte des valves cardiaques) mais aucune surveillance ou étude ne sont diligentées sur le sujet. C’est dans ce climat qu’un médecin pneumologue brestois s’alerte après avoir constaté des anomalies valvulaires et des HTAP chez plusieurs patients qui tous avaient été traités avec du MEDIATOR. Le déclic se produit un jour de consultation. Alors que le médecin reçoit en consultation une patiente qui souffre d’HTAP, la clinicienne constate que l’ordonnance contient le fameux traitement. Elle se souvient qu’étant étudiante, elle avait été témoin de décès de patientes pour les mêmes causes alors qu’elles prenaient un autre coupe-faim analogue, l’isoméride. La brestoise contacte donc le laboratoire ayant commercialisé les deux molécules, le fameux laboratoire Servier. Ce dernier répond par courrier que les deux produits n’ont absolument rien à voir entre eux et il clôt ainsi le débat. La pneumologue avait pourtant lu le contraire dans la revue Prescrire qui évoquait déjà l’analogie entre les deux produits. D’autres publications rapportent même que les deux médicaments se dégradent en la même molécule, la norfenfluramine. C’est cette fameuse molécule toxique qui avait poussé à décider le retrait de l’isoméride. Le médecin comprend alors que le laboratoire lui ment et elle décide de mener les investigations par elle-même. Un travail de fourmi commence et la lanceuse d’alerte initie la mise en place d’une étude épidémiologique visant à prouver le lien statistique entre la prise du médicament et l’apparition de troubles valvulaires graves. S’en suit un combat de David contre Goliath. Ce médecin aurait pu se contenter des rapports faussement rassurants des instances étatiques, mais elle a suivi son instinct et a bravé les vents contraires pour publier en 2009 les résultats de son étude, résultats qui sont sans appel, ce médicament est dangereux, pire, c’est un poison. Avec l’aide d’autres résistants elle parvient à prouver le lien est fait retirer la molécule du marché. Mais on ne s’attaque pas impunément à l’institution pharmaceutique. L’agence national du médicament appelle l’hôpital qui emploie la pneumologue pour trouver des moyens de l’empêcher d’exercer. De plus, les entretiens à l’agence sont glaciaux, l’instance censée protéger la population des médicaments suspects couvre le laboratoire et balade la lanceuse d’alerte. Il faut bien comprendre qu’il siège dans cette assemblée « sans conflit d’intérêt » des médecins qui ont un pied à l’agence de surveillance du médicament et l’autre dans un laboratoire privé. Plusieurs d’entre eux avaient plus qu’un pied chez Servier, ils ont d’ailleurs été inquiétés et ont plaidé pour leur défense qu’ils n’avaient que de « discrets liens » avec la firme. L’affaire met au jour un autre problème, les fameux experts se retrouvent également dans d’autres commissions, ce qui fait discuter de l’indépendance des institutions entre elles. L’avantage est au laboratoire qui, en payant une personne, infiltre plusieurs administrations. Les institutions ne sont pas les seules à être gangrenées par la compromission, les cardiologues, vexés de ne pas avoir relevé le lien entre valvulopathie et MEDIATOR n’acceptent pas qu’une pneumologue provinciale ne leur dame le pion. Sans compter que Servier arrosait abondamment les sociétés de cardiologie ce qui ne poussait pas les spécialistes à se retourner contre la main qui les nourrissait. Malgré de multiples occasions de découragement, ce médecin a su garder le cap pour être l’épine dans le corps tentaculaire de l’entreprise Servier, une épine faite de conviction et de courage et qui porte le nom de Docteure Irène Frachon. Le laboratoire Servier a été reconnu coupable de tromperies aggravées, homicide et blessures involontaires et condamnés à 2,7 millions d’amende en mars 2021 pour avoir commercialisé un médicament inefficace comme un antidiabétique alors qu'il ne s'agissait en fait que d'une amphétamine coupe-faim.




Iconographie: Photographie du docteure Irène Frachon, photo AFP.







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