La vie est un calvaire quand elle commence de travers
Quand l’existence est biaisée, truquée, falsifiée, trafiquée, c’est l’arnaque du siècle, un poker en pire car quand tu vas au tapis tu te tires. Dès le départ tu peux piocher une main minable et il ne reste qu’à prier pour que la partie s’allonge autour de la table.
Madame J. avait perdu avant de commencer, elle n’a même pas pu miser. Sa grand-mère s’était faite flinguer froidement par le cancer du sein avant ses quarante ans. Elle avait tout juste eu le temps de mettre au monde un petit diamant qui deviendrait la mère de notre patiente du moment. Malheureusement le crabe l’a retrouvé aussi pour en faire des confettis. Toujours du côté maternel, c’est sa tante qui en deux coups perd le duel. Première attaque dans l’utérus, la seule défense, la seule astuce, lui retirer l’organe, mais à la course à la mort contre la néoplasie on a toujours un coup de retard et c’est fini. La maladie avait déjà miné le foie puis a explosé dans les os et les poumons. Tata fu rétamé avant que le milieu de partie soit entamé.
Sa grand-mère, sa mère puis sa tante avaient été mise K.O., alors madame J. savait que lors de son passage au casino le croupier ne serait pas réglo. Elle a quand même essayé de jouer, elle a même tenté d’y croire pour voir, elle a tiré la carte de l’amour et du foyer, mais à 22 ans la maladie l’a débusquée. La saloperie de voleuse de vie s’est lovée dans son ovaire. La médecine est arrivée et l’a délogé pour que la partie puisse durer. Il restait juste ce qu’il faut de jeton pour faire semblant de participer à cette supercherie. Elle en jetait un de temps en temps, pour faire illusion, mais le jeu était plié, c’était écrit.
Comme un pied de nez à la mort qui attendait derrière la table, elle a tenté un coup de bluff et accoucha d’un enfant. Elle créa la vie pour oublier que la sienne était maudite.
Après, tout s’est enchainé très vite. Elle a pioché la carte covid et les examens ont découvert des récidives fortuites, le cancer attendait là dans les recoins de son foie. On est allé plus loin et à chaque examen, chaque petit pas dans son bilan d’extension, la maladie avançait ses pions, une métastase riait dans le poumon, quatre autres dans les os et surement une dans le cerveau.
Décision est prise de l’envoyer dans le centre spécialisé le plus proche, c’est le tout pour le tout, la dernière mise, le tapis, la dernière pioche.
Mais impossible de luter quand les dés sont pipés. Covid et cancer font le lit de l’embolie pulmonaire, est c’est à trente ans qu’on a éteint la lumière.
La dernière fois que j’ai vu madame J. elle patientait dans son lit, elle avait déjà quitté la partie, les pieds posés sur la chaise d’à côté, elle attendait le coup de sifflet. Elle était née pour se faire dépouiller, alors quitte à tout perdre, elle a joué la partie à fond pour partir sans jetons. Elle n’a fait que quelques tours sur le plateau de la vie, mais je me plais à croire qu’elle les savourée pour tout donner avant de nous quitter. Elle nous a laissé nous débattre dans cette partie dont personne ne comprend les règles mais à laquelle nous sommes tous condamner à jouer.
Iconographie: Peinture cubiste d'une partie de poker par Marlina Vera
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