Je ne pouvais passer à côté de la vie de cet illustre médecin qui a su penser son art comme peu d’autre avant où même après lui.
Dans un monde qui voit naitre l’islam, en lieu et place de l’Iran actuel se trouve un point d’intersection et de rencontre de multiples cultures. Cette région située à l’est de la Mésopotamie, berceau de la Perse touché par les incursions arabes et turques, encore placée sous l’influence de l’héritage grecque, commerçant avec l’orient mais aussi avec l’occident, cette région se trouve être un bouillon de culture qui donnera naissance à une ère de science et de philosophie qui rayonne jusqu’à aujourd’hui et qui a vu émerger l’un de ses plus grands penseurs, Abu ʿAli al-Husayn Ibn Abd Allah Ibn Sīnā ou Ibn Sina, autrement appelé Avicenne.
Né en 980 dans une province qui correspondrait aujourd’hui à l’Ouzbékistan, L’enfant a des prédispositions exceptionnelles. Il montre une aisance dans les mathématiques et impressionne par sa mémoire. Il n’a que dix ans quand il maitrise déjà les bases de l’arithmétique, de la philosophie d’Aristote, de la connaissance du Coran mais aussi de la géométrie et de l’astronomie. Un jour, il s’attaque à l’œuvre traduite d’Hippocrate qui le passionne. Hippocrate dévoré, il englouti les écrits de Galien. En 996, à seize ans, il devient médecin à l’Académie universitaire de Gundishapur.
Petit aparté sur cette université qui avait une particularité qui fait pâlir quand on voit le monde d’aujourd’hui car elle accueille des médecins de toutes confessions : Mazdéens, Chrétiens, Musulmans et Juifs… Que de chemin non parcouru en mille ans. Nous avons sûrement quelques leçons à retenir du passé.
Notre cher Avicenne, âgé de dix-sept ans, enseigne donc dans la ville de Boukhara où des médecins de tous horizons viennent apprendre. Le savoir n’a pas de frontière.
Dix-sept ans est l’âge auquel il accomplit son premier fait d’arme. Il est appelé par le prince Nouh ibn Mansour qui souffre de douleurs abdominales. Le jeune garçon, déjà grand par l’esprit, diagnostique une intoxication au plomb. Il enlève donc les sources du mal et le prince guérit.
La valeur d’un être ne se mesure pas au nombre de ses années.
S’il est une constante dans le monde et ce quelle que soit l’époque, c’est que le génie attise la jalousie. Le comportement d’Avicenne n’aide pas car il présente un manque manifeste de modestie dans la fougue de sa jeunesse qui le mène à claironner qu’à dix-huit ans il a déjà acquis tout le savoir possible et imaginable. Il est contraint de fuir s’il ne veut en finir en prison. Il trouve refuge près de la mer caspienne auprès d’un prince amoureux de science. Tel un François Ier accueillant son De Vinci, le prince du Khârezm crée un cocon pour le jeune Ibn Sina âgé de vingt et un ans. C’est ici qu’il commence à retranscrire ses connaissances et rédige ses premiers ouvrages. Après neuf années, ce sont les guerres et instabilités politiques qui l’obligent à s’installer au nord-est de l’actuel Iran. Dans ses voyages, il croise la route de princes et autres hauts personnages qu’il sait guérir se faisant ainsi un nom. En 1014 c’est l’émir qu’il est amené à soigner. Il en est récompensé en devant son vizir. Malgré ses obligations politiques, il ne cesse d’écrire et écrire, étoffant ainsi son Canon médical, un vaste projet encyclopédique de concentration de tout le savoir médical grecque, arabes et indien. Continuant à écrire et à guérir, il se déplace de ville en ville et de prince en prince. Toujours médecins des émirs, il tombe malade lors d’un voyage. Souffrant longuement de douleurs abdominales, il meurt en 1037 à l’âge de cinquante-sept ans.
Jusqu’ici, ça vie ne présente rien d’extraordinaire que d’avoir côtoyé les puissants. Son héritage est bien plus grand et profond.
Il est l’auteur de centaine d’ouvrages touchant à la poésie, l’astronomie, la médecine, la psychologie, la chimie et la physique, l’économie, la religion, la musique… Il avait quelques cordes à son arc.
Il expulse les croyances magiques de la médecine tout en essayant de la concilier avec l’idéologie musulmane. Vaste programme, mais le simple fait de vouloir objectiver l’art médical par la logique en le débarrassant pour partie de la croyance en fait un pionnier. Il s’applique à faire que philosophie et médecine s’accordent, ce que l’on peut voir comme les prémices de l’épistémologie moderne.
Il est un clinicien hors pair et il décrit avec une grande précision les pouls, les urines et bien d’autres symptômes, il prend le patient dans sa globalité en décrivant le rôle de l’environnement et du mode de vie sur la déclaration des pathologies, il détaille avec précision les méningites, le diabète, la médiastinite, l’abcès sous diaphragmatique, la pleurésie, la lèpre, il analyse et décrit la Dracunculose, une pathologie due à un ver spécifique de la région de Médine, il brosse également la liste d’une pharmacopée large, il pose les fondements de la médecine préventive en passant notamment par l’application de régimes adaptés, d’une bonne hygiène de vie, d’un sommeil réparateur et d’une activité physique . Cette phrase en est une belle expression : « la médecine est l'art de conserver la santé et éventuellement, de guérir la maladie survenue dans le corps ».
Avec mille ans d’avance, il élabore la musicothérapie en avançant que la musique peut traiter la dépression.
Son héritage est d’unifier le corps et l’esprit.
Fruit d’une période faste pour la connaissance, ce génie au manque manifeste de modestie a su, il y a un millénaire, éclairer un chemin qui illuminera l’ensemble des médecins jusqu’à ce que le flambeau soit repris à la fin du moyen-âge par ses enfant intellectuels dont nous descendons tous.
Iconographie: Ibn Sina, miniature persane.
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