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Photo du rédacteurLes carnets d'Asclépios

BRÈVES

Dernière mise à jour : 8 mai



Pile ou face


Deux nouveaux patients, deux hommes, deux anémies, deux saignements.

Ils bénéficient des mêmes examens: gastroscopie, scanner, coloscopie.

On découvre au premier un cancer du colon avec métastases hépatiques. À l'autre, rien.

J'ai pu lire dans les yeux du premier l'injustice ressentie. Les deux voisins de chambre entrés en même temps, pour les mêmes symptômes.

Une fin pourtant opposée. L'un fêtera Noël sans soucis quand l'autre prévoit de cacher le diagnostic à ses enfants pour profiter de son dernier réveillon.

La vie à pile ou face...

Voilà ce qui s'est déroulé dans cette chambre un 22 décembre.




Les écharpes


En ce moment, je m'occupe d'une charmante dame de 94 ans. Nous avons tout juste 60 ans d'écart.

Hospitalisée pour une occlusion intestinale, autant dire qu'à son âge, ce diagnostic la condamne.

Depuis un mois, elle est au fond de son lit. L'occlusion s'est levée et elle a demandé à être renourri avec une sonde. Elle demande également de la rééducation. Une seule idée, être remise sur pied.

Après discussion médicale, nous avons accepté ses doléances car elle n'a aucun antécédent, garde toute sa tête, est autonome et fait 15 ans de moins que son âge réel.

En un mois, je n'ai jamais vu cette femme se plaindre une seule fois. Elle avance, doucement, solide et toujours bienveillante avec l'équipe.

Un jour que je m'attarde dans la chambre, je rencontre l'une de ses filles qui est empêtrée dans des mètres de fils de laine. La discussion s'amorce et je fais remarquer la détermination de sa maman à s'en sortir.

C'est là qu'elle m'explique que madame O. souhaite s'en sortir pour une seule et unique raison: Faire aboutir un projet de maison d'accueil pour les enfants défavorisés de son village.

Je suis stupéfait.

Alors que je me perds dans mes pensées, mon regard s'attarde sur un fil bleu marine.

La fille me voit fixer la pelote et m'avoue qu'elle et ses soeurs ont été mandatées par ma patiente pour fabriquer des écharpes à tout le service!

Madame O., alitée depuis quatre semaines à souffrir sans se plaindre, à s'acharner à vivre ne le fait que pour une raison: les autres. Et elle trouve le temps de demander à ses filles de nous confectionner des écharpes.


Elle se soucie plus de son entourage et du bien qu'elle peut faire que de sa propre personne. Cette forteresse humaine de presque un siècle est l'incarnation de l'altruisme.


L'altruisme doit être bénéfique car la patiente à pu être transférée en rééducation.




Leçon de médecine


Hier soir, nous étions invités chez des amis. Alors que le repas touche à sa fin, le petit Tom, cinq ans, vient me voir avec un jouet. Il s'agit d'un stéthoscope en plastique. Je lui place les embouts dans les oreilles et plaque le pavillon contre mon foyer aortique pour qu'il entende au mieux les battements du coeur. C'est alors que Tom s'empare du pavillon, le déplace et me dit avec aplonb: "Mais non! C'est pas comme ça! Il faut le bouger pour bien entendre!"

Je n'ai pas pu m'empêcher de rire.


Il n'est jamais trop tard pour apprendre...





Docteur...


Je viens de me faire insulter de "fils de pute".

Pourquoi?

Parce que j'ai refusé de céder aux exigences de la fille d'une patiente. Elle voulait me parler immédiatement au milieu de ma visite médicale; avoir un compte-rendu oral de l'ensemble des examens; connaître le nom, la posologie et la durée de chaque traitement et le tout en insultant l'infirmière afin de pouvoir me parler.

Forcément, j'ai refusé.

"Vous êtes vraiment un fils de pute!".

Déjà, il semblerait qu'elle possède des informations sur ma mère que je n'ai pas.

Mais surtout ce qui m'embête:

C'est Docteur Fils de Pute.

Je ne transige pas avec la politesse.




Gourmandise


Ce matin, je suis en pleine visite. Au milieu du couloir, en blouse blanche et armé de mon nouveau stéthoscope, j'entends un bruit sourd: "VROUMMM!". Puis encore "VROUM, VROUM,...!!"

Et ça recommence et ne s'arrête pas. Je stope ma course et cherche l'origine du vacarme.

Chambre 457: rien, chambre 456: rien, 455, 454, 453, 452: rien, rien, rien, rien.

Pourtant, le bruit continue.

C'est au 451 que se trouve l'explication. J'entre et trouve mon monsieur A. qui, attaché à son fauteuil sans roulette, donne de grands coups de reins pour trainer ledit fauteuil. À chaque attaque, il gagne quelques centimètres.

Je le regarde, il m'ignore et poursuit sa course. Je l'interromps en lui demandant où il va. Il ne dit mot mais montre le placard du bout du doigt.

Curieux, j'ouvre.

Là je découvre le trésor, l'objet de ses convoitises, ses bonbons.

Je lui tends le paquet qu'il s'empresse de saisir avec un grand sourire.

Il n'y a pas d'âge pour la gourmandise.




Quelques fruits


Cette nuit, madame coeur malade est arrivée dans mon service. Infection pulmonaire sévère compliquée d'une insuffisance cardiaque compliquée d'une insuffisance rénale...


Depuis son admission, elle reste comateuse. Il ne lui reste que quelques heures, des jours peut-être. Son mari vient la voir et elle bafouille quelques mots. J'accueille monsieur en entretien et il m'explique que dans 6 mois, cela fera 60 ans qu'ils sont ensemble.

Depuis 1 mois, sa moitié se laisse aller. Elle reste couchée, elle ne mange plus, alors il va lui acheter des fruits car elle a toujours aimé ça.

Quand nous eûmes terminé, il est retourné dans la chambre mais sa femme était partie.


C'est peut-être simplement ça l'amour, acheter des fruits pour l'un et avoir la délicatesse d'attendre d'être seule pour partir pour l'autre...





Nature humaine


Il y a cet homme que je suis en ce moment à l'hôpital. Quand il est arrivé, il m'a fait le récit de ses 90 années de vie, de son parcours de cuisinier, de son double veuvage, ses deux épouses qu'il a perdues dans une même vie. Il était calme, tempéré et délicieux à écouter. Il m'a profondément touché.

Alors quand les infirmières m'ont dit qu'elles s'étaient faites insulter de "sales poufs", j'ai eu beaucoup de mal à les croire. Confusion aiguë? Incompréhension?

Je décide de me faire mon idée mais avec moi il reste très lucide, calme et poli.


Après 8 jours dans le service et à la suite de la bonne évolution de sa contusion pulmonaire avec surinfection sévère, l'homme à changé de visage. Plus il reprenait des forces et moins il était courtois.


Il a commencé à se plaindre de la nourriture infâme et insipide puis, il s'est mis à me parler de sa "petite pétasse" de fille qui vient le voir tous les jours mais qui lui aurait fait comprendre qu'il n'était pas à l'hôtel.


Quel revirement de situation. Je ne cesserai jamais de m'étonner de la nature humaine.


En attendant, je vais m'efforcer de garder foi en l'humanité.





Iconographie: Image du film La Soupe Au Choux de Jean Girault










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